Oeuvres compltes de Paul Verlaine, Vol. 1, Верлен Поль, Год: 1896

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The Project Gutenberg EBook of Oeuvres compltes de Paul Verlaine, Vol. 1
by Paul Verlaine
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Title: Oeuvres compltes de Paul Verlaine, Vol. 1
Pomes Saturniens, Ftes Galantes, Bonne chanson, Romances sans
paroles, Sagesse, Jadis et nagure
Author: Paul Verlaine
Release Date: February 20, 2005 [EBook #15112]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK OEUVRES COMPLTES DE PAUL VERLAINE ***
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(BnF/Gallica)
POMES SATURNIENS
Les Sages d’autrefois, qui valaient bien ceux-ci,
Crurent, et c’est un point encor mal clairci,
Lire au ciel les bonheurs ainsi que les dsastres,
Et que chaque me tait lie l’un des astres.
(On a beaucoup raill, sans penser que souvent
Le rire est ridicule autant que dcevant,
Cette explication du mystre nocturne.)
Or ceux-l qui sont ns sous le signe SATURNE,
Fauve plante, chre aux ncromanciens,
Ont entre tous, d’aprs les grimoires anciens,
Bonne part de malheur et bonne part de bile.
L’Imagination, inquite et dbile,
Vient rendre nul en eux l’effort de la Raison.
Dans leurs veines, le sang, subtil comme un poison,
Brlant comme une lave, et rare, coule et roule
En grsillant leur triste Idal qui s’croule.
Tels les Saturniens doivent souffrir et tels
Mourir,—en admettant que nous soyons mortels.—
Leur plan de vie tant dessin ligne ligne
Par la logique d’une Influence maligne.
P.V.
PROLOGUE
Dans ces temps fabuleux, les limbes de l’histoire,
O les fils de Ragh, beaux de fard et de gloire,
Vers la Ganga rgnaient leur rgne tincelant,
Et, par l’intensit de leur vertu, troublant
Les Dieux et les Dmons et Bhagavat lui-mme,
Augustes, s’levaient jusqu’au nant suprme,
Ah! la terre et la mer et le ciel, purs encor
Et jeunes, qu’arrosait une lumire d’or
Frmissante, entendaient, apaisant leurs murmures
De tonnerres, de flots heurts, de moissons mres,
Et retenant le vol obstin des essaims,
Les Potes sacrs chanter les Guerriers saints,
Ce pendant que le ciel et la mer et la terre
Voyaient—rouges et las de leur travail austre—
S’incliner, pnitents fauves et timors,
Les Guerriers saints devant les Potes sacrs!
Une connexit grandiosement calme
Liait le Kchatrya serein au Chanteur calme,
Valmiki l’excellent l’excellent Rama:
Telles sur un tang deux touffes de padma.
—Et sous tes cieux dors et clairs, Hellas antique,
De Sparte la svre la rieuse Allique,
Les Ades, Orpheus, Akaos, taient
Encore des hros altiers et combattaient,
Homros, s’il n’a pas, lui, mani le glaive,
Fait retentir, clameur immense qui s’lve,
Vos chos, jamais las, vastes postrits,
D’Hektr, et d’Odysseus, et d’Akhilleus chants.
Les hros leur tour, aprs les luttes vastes,
Pieux, sacrifiaient aux neuf Desses chastes,
Et non moins que de l’art d’Ars furent pris
De l’Art dont une Palme immortelle est le prix,
Akhilleus entre tous! Et le Latiade
Dompta, parole d’or qui charme et persuade,
Les esprits et les coeurs et les mes toujours,
Ainsi qu’Orpheus domptait les tigres elles ours.
—Plus tard, vers des climats plus rudes, en des res
Barbares, chez les Francs tumultueux, nos pres,
Est-ce que le Trouvre hroque n’eut pas
Comme le Preux sa part auguste des combats?
Est-ce que, Throldus ayant dit Charlemagne,
Et son neveu Roland rest dans la montagne
Et le bon Olivier et Turpin au grand coeur,
En beaux couplets et sur un rythme pre et vainqueur,
Est-ce que, cinquante ans aprs, dans les batailles,
Les durs Leudes perdant leur sang par vingt entailles,
Ne chantaient pas le chant de geste sans rivaux,
De Roland et de ceux qui virent Roncevaux
Et furent de l’norme et suprme tuerie,
Du temps de l’Empereur la barbe fleurie?
—Aujourd’hui l’Action et le Rve ont bris
Le pacte primitif par les sicles us,
Et plusieurs ont trouv funeste ce divorce
De l’harmonie immense et bleue et de la Force.
La Force qu’autrefois le Pote tenait
En bride, blanc cheval ail qui rayonnait,
La force, maintenant, la Force, c’est la Bte
Froce bondissante et folle et toujours prte
A tout carnage, tout dvaslement, tout
gorgement d’un bout du monde l’autre bout!
L’Action qu’autrefois rglait le chant des lyres,
Trouble, enivre, en proie aux cent mille dlires
Fuligineux d’un sicle en bullition,
L’Action prsent,— piti!—l’Action,
C’est l’ouragan, c’est la tempte, c’est la houle
Marine dans la nuit sans toiles, qui roule
Et droule parmi des bruits sourds l’effroi vert
Et rouge des clairs sur le ciel entr’ouvert!
—Cependant, orgueilleux et doux, loin des vacarmes
De la vie et du choc dsordonn des armes
Mercenaires, voyez, gravissant les hauteurs
Ineffables, voici le groupe des Chanteurs
Vtus de blanc, et des lueurs d’apothoses
Empourprent la fiert sereine de leurs poses:
Tous beaux, tous purs, avec des rayons dans les yeux,
Et sur leur front le rve inachev des Dieux,
Le monde que troublait leur parole profonde,
Les exile. A leur tour ils exilent le monde!
C’est qu’ils ont la fin compris qu’ils ne faut plus
Mler leur note pure aux cris irrsolus
Que va poussant la foule obscne et violente,
Et que l’isolement sied leur marche lente.
Le Pote, l’amour du Beau, voil sa foi,
L’Azur, son tendard, et l’Idal, sa loi!
Ne lui demandez rien de plus, car ses prunelles,
O le rayonnement des choses ternelles
A mis des visions qu’il suit avidement,
Ne sauraient s’abaisser une heure seulement
Sur le honteux conflit des besognes vulgaires,
Et sur vos vanits plates, et si nagures
On le vit au milieu des hommes, pousant
Leurs querelles, pleurant avec eux, les poussant
Aux guerres, clbrant l’orgueil des Rpubliques
Et l’clat militaire et les splendeurs auliques.
Sur la kitare, sur la harpe et sur le luth,
S’il honorait parfois le prsent d’un salut
Et daignait consentir ce rle de prtre
D’aimer et de bnir, et s’il voulait bien tre
La voix qui rit ou pleure alors qu’on pleure ou rit,
S’il inclinait vers l’me humaine son esprit,
C’est qu’il se mprenait alors sur l’me humaine.
Maintenant, va, mon Livre, o le hasard te mne.
MELANCHOLIA
A Ernest Boutier.
I
RSIGNATION
Tout enfant, j’allais rvant Ko-Hinnor,
Somptuosit persane et papale,
Hliogabale et Sardanapale!
Mon dsir crait sous des toits en or,
Parmi les parfums, au son des musiques,
Des harems sans fin, paradis physiques!
Aujourd’hui plus calme et non moins ardent,
Mais sachant la vie et qu’il faut qu’on plie,
J’ai d refrner ma belle folie,
Sans me rsigner par trop cependant.
Soit! le grandiose chappe ma dent,
Mais fi de l’aimable et fi de la lie!
Et je hais toujours la femme jolie!
La rime assonante et l’ami prudent.
II
NEVERMORE
Souvenir, souvenir, que me veux-tu? L’automne
Faisait voler la grive travers l’air atone,
Et le soleil dardait un rayon monotone
Sur le bois jaunissant o la bise dtone.
Nous tions seul seule et marchions en rvant,
Elle et moi, les cheveux et la pense au vent.
Soudain, tournant vers moi son regard mouvant:
‘Quel fut ton plus beau jour!’ fit sa voix d’or vivant,
Sa voix douce et sonore, au frais timbre anglique.
Un sourire discret lui donna la rplique,
Et je baisai sa main blanche, dvotement.
—Ah! les premires fleurs qu’elles sont parfumes!
Et qu’il bruit avec un murmure charmant
Le premier oui qui sort de lvres bien-aimes!
III
APRS TROIS ANS
Ayant pouss la porte troite qui chancelle,
Je me suis promen dans le petit jardin
Qu’clairait doucement le soleil du matin,
Pailletant chaque fleur d’une humide tincelle.
Rien n’a chang. J’ai tout revu: l’humble tonnelle
De vigne folle avec les chaises de rotin…
Le jet d’eau fait toujours son murmure argentin
Et le vieux tremble sa plainte sempiternelle.
Les roses comme avant palpitent, comme avant,
Les grands lys orgueilleux se balancent au vent.
Chaque alouette qui va et vient m’est connue.
Mme j’ai retrouv debout la Vellda,
Dont le pltre s’caille au bout de l’avenue.
—Grle, parmi l’odeur fade du rsda.
IV
VOEU
Ah! les oarystis! les premires matresses!
L’or des cheveux, l’azur des yeux, la fleur des chairs,
Et puis, parmi l’odeur des corps jeunes et chers,
La spontanit craintive des caresses!
Sont-elles assez loin toutes ces allgresses
Et toutes ces candeurs! Hlas! toutes devers
Le Printemps des regrets ont fui les noirs hivers
De mes ennuis, de mes dgots, de mes dtresses!
Si que me voil seul prsent, morne et seul,
Morne et dsespr, plus glac qu’un aeul,
Et tel qu’un orphelin pauvre sans soeur ane.
O la femme l’amour clin et rchauffant,
Douce, pensive et brune, et jamais tonne,
Et qui parfois vous baise au front, comme un enfant
V
LASSITUDE
A batallas de amor campo de pluma.
(CONGORA)
De la douceur, de la douceur, de la douceur!
Calme un peu ces transports fbriles, ma charmante.
Mme au fort du dduit, parfois, vois-tu, l’amante
Doit avoir l’abandon paisible de la soeur.
Sois langoureuse, fais ta caresse endormante,
Bien gaux les soupirs et ton regard berceur.
Va, l’treinte jalouse et le spasme obsesseur
Ne valent pas un long baiser, mme qui mente!
Mais dans ton cher coeur d’or, me dis-tu, mon enfant,
La fauve passion va sonnant l’oliphant.
Laisse-la trompetter son aise, la gueuse!
Mets ton front sur mon front et ta main dans ma main,
Et fais-moi des serments que tu rompras demain,
Et pleurons jusqu’au jour, petite fougueuse!
VI
MON RVE FAMILIER
Je fais souvent ce rve trange et pntrant
D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime,
Et qui n’est, chaque fois, ni tout fait la mme
Ni tout fait une autre, et m’aime et me comprend.
Car elle me comprend, et mon coeur, transparent
Pour elle seule, hlas! cesse d’tre un problme
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blme,
Elle seule les sait rafrachir, en pleurant.
Est-elle brune, blonde ou rousse?—Je l’ignore.
Son nom? Je me souviens qu’il est doux et sonore,
Comme ceux des aims que la Vie exila.
Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L’inflexion des voix chres qui se sont tues.
VII
A UNE FEMME
A vous ces vers, de par la grce consolante
De vos grands yeux o rit et pleure un rve doux,
De par votre me, pure et toute bonne, vous
Ces vers du fond de ma dtresse violente.
C’est qu’hlas! le hideux cauchemar qui me hante
N’a pas de trve et va furieux, fou, jaloux,
Se multipliant comme un cortge de loups
Et se pendant aprs mon sort qu’il ensanglante.
Oh! je souffre, je souffre affreusement, si bien
Que le gmissement premier du premier homme
Chass d’den n’est qu’une glogue au prix du mien!
Et les soucis que vous pouvez avoir sont comme
Des hirondelles sur un ciel d’aprs-midi,
—Chre,—par un beau jour de septembre attidi.
VIII
L’ANGOISSE
Nature, rien de toi ne m’meut, ni les champs
Nourriciers, ni l’cho vermeil des pastorales
Siciliennes, ni les pompes aurorales,
Ni la solennit dolente des couchants.
Je ris de l’Art, je ris de l’Homme aussi, des chants,
Des vers, des temples grecs et des tours en spirales
Qu’tirent dans le ciel vide les cathdrales,
Et je vois du mme oeil les bons et les mchants.
Je ne crois pas en Dieu, j’abjure et je renie
Toute pense, et quant la vieille ironie,
L’Amour, je voudrais bien qu’on ne m’en parlt plus.
Lasse de vivre, ayant peur de mourir, pareille
Au brick perdu jouet du flux et du reflux,
Mon me pour d’affreux naufrages appareille.
EAUX-FORTES
A Franois Coppe.
I
CROQUIS PARISIEN
La lune plaquait ses teintes de zinc
Par angles obtus.
Des bouts de fume en forme de cinq
Sortaient drus et noirs des hauts toits pointus.
Le ciel tait gris, la bise pleurait
Ainsi qu’un basson.
Au loin, un matou frileux et discret
Miaulait d’trange et grle faon.
Moi, j’allais, rvant du divin Platon
Et de Phidias,
Et de Salamine et de Marathon,
Sous l’oeil clignotant des bleus becs de gaz.
II
CAUCHEMAR
J’ai vu passer dans mon rve
—Tel l’ouragan sur la grve,
D’une main tenant un glaive
Et de l’autre un sablier,
Ce cavalier
Des ballades d’Allemagne
Qu’ travers ville et campagne,
Et du fleuve la montagne,
Et des forts au vallon,
Un talon
Rouge-flamme et noir d’bne,
Sans bride, ni mors, ni rne,
Ni hop! ni cravache, entrane
Parmi des rlements sourds
Toujours! toujours!
Un grand feutre longue plume
Ombrait son oeil qui s’allume
Et s’teint. Tel, dans la brume,
clate et meurt l’clair bleu
D’une arme feu.
Comme l’aile d’une orfraie
Qu’un subit orage effraie,
Par l’air que la neige raie,
Son manteau se soulevant
Claquait au vent,
Et montrait d’un air de gloire
Un torse d’ombre et d’ivoire,
Tandis que dans la nuit noire
Luisaient en des cris stridents
Trente-deux dents.
III
MARINE
L’Ocan sonore
Palpite sous l’oeil
De la lune en deuil
Et palpite encore,
Tandis qu’un clair
Brutal et sinistre
Fend le ciel de bistre
D’un long zigzag clair,
Et que chaque lame,
En bonds convulsifs,
Le long des rcifs,
Va, vient, luit et clame,
Et qu’au firmament,
O l’ouragan erre,
Rugit le tonnerre
Formidablement.
IV
EFFET DE NUIT
La nuit. La pluie. Un ciel blafard que dchiquette
De flches et de tours jour la silhouette
D’une ville gothique teinte au lointain gris.
La plaine. Un gibet plein de pendus rabougris
Secous par le bec avide des corneilles
Et dansant dans l’air noir des gigues non-pareilles,
Tandis que leurs pieds sont la pture des loups.
Quelques buissons d’pine pars, et quelques houx
Dressant l’horreur de leur feuillage droite, gauche,
Sur le fuligineux fouillis d’un fond d’bauche.
Et puis, autour de trois livides prisonniers
Qui vont pieds nus, un gros de hauts pertuisaniers
En marche, et leurs fers droits, comme des fers de herse,
Luisent contresens des lances de l’averse.
V
GROTESQUES
Leurs jambes pour toutes montures,
Pour tous biens l’or de leurs regards,
Par le chemin des aventures
Ils vont haillonneux et hagards.
Le sage, indign, les harangue,
Le sot plaint ces fous hasardeux,
Les enfants leur tirent la langue
Et les filles se moquent d’eux.
C’est qu’odieux et ridicules,
Et malfiques en effet,
Ils ont l’air, sur les crpuscules,
D’un mauvais rve que l’on fait:
C’est que, sur leurs aigres guitares
Crispant la main des liberts,
Ils nasillent des chants bizarres,
Nostalgiques et rvolts,
C’est enfin que dans leurs prunelles
Rit et pleure—fastidieux—
L’amour des choses ternelles,
Des vieux morts et des anciens dieux!
—Donc, allez, vagabonds sans trves,
Errez, funestes et maudits,
Le long des gouffres et des grves,
Sous l’oeil ferm des paradis!
La nature l’homme s’allie
Pour chtier comme il le faut
L’orgueilleuse mlancolie
Qui vous fait marcher le front haut.
Et, vengeant sur vous le blasphme
Des vastes espoirs vhments,
Meurtrit votre front anathme
Au choc rude des lments.
Les juins brlent et les dcembres
Glent votre chair jusqu’aux os,
Et la fivre envahit vos membres,
Qui se dchirent aux roseaux.
Tout vous repousse et tout vous navre,
Et quand la mort viendra pour vous,
Maigre et froide, votre cadavre
Sera ddaign par les loups!
PAYSAGES TRISTES
A Catulle Mends.
I
SOLEILS COUCHANTS
Une aube affaiblie
Verse par les champs
La mlancolie
Des soleils couchants.
La mlancolie
Berce de doux chants
Mon coeur qui s’oublie
Aux soleils couchants.
Et d’tranges rves,
Comme des soleils
Couchants, sur les grves,
Fantmes vermeils,
Dfilent sans trves,
Dfilent, pareils
A des grands soleils
Couchants, sur les grves.
II
CRPUSCULE DU SOIR MYSTIQUE
Le Souvenir avec le Crpuscule
Rougeoie et tremble l’ardent horizon
De l’Esprance en flamme qui recule
Et s’agrandit ainsi qu’une cloison
Mystrieuse o mainte floraison
—Dahlia, lys, tulipe et renoncule—
S’lance autour d’un treillis, et circule
Parmi la maladive exhalaison
De parfums lourds et chauds, dont le poison
—Dahlia, lys, tulipe et renoncule—
Noyant mes sens, mon me et ma raison,
Mle, dans une immense pmoison,
Le Souvenir avec le Crpuscule.
III
PROMENADE SENTIMENTALE
Le couchant, dardait ses rayons suprmes
Et le vent berait les nnuphars blmes,
Les grands nnuphars entre les roseaux,
Tristement luisaient sur les calmes eaux.
Moi j’errais tout seul, promenant ma plaie
Au long de l’tang, parmi la saulaie
O la brume vague voquait un grand
Fantme laiteux se dsesprant
Et pleurant avec la voix des sarcelles
Qui se rappelaient en battant des ailes
Parmi la saulaie o j’errais tout seul
Promenant ma plaie, et l’pais linceul
Des tnbres vint noyer les suprmes
Rayons du couchant dans ses ondes blmes
Et des nnuphars, parmi les roseaux,
Des grands nnuphars sur les calmes eaux.
IV
NUIT DU WALPURGIS CLASSIQUE
C’est plutt le sabbat du second Faust que l’autre.
Un rhythmique sabbat, rhythmique, extrmement
Rhythmique.—Imaginez un jardin de Lentre,
Correct, ridicule et charmant.
Des ronds-points, au milieu, des jets d’eau, des alles
Toutes droites, sylvains de marbre, dieux marins
De bronze, et l, des Vnus tales,
Des quinconces, des boulingrins,
Des chtaigniers, des plants de fleurs formant la dune,
Ici, des rosiers nains qu’un got docte effila,
Plus loin, des ifs taills en triangles. La lune
D’un soir d’t sur tout cela.
Minuit sonne, et rveille au fond du parc aulique
Un air mlancolique, un sourd, lent et doux air
De chasse: tel, doux, lent, sourd et mlancolique,
L’air de chasse de Tannhauser.
Des chants voils de cors lointains o la tendresse
Des sens treint l’effroi de l’me en des accords
Harmonieusement dissonnants dans l’ivresse,
Et voici qu’ l’appel des cors
S’entrelacent soudain des formes toutes blanches,
Diaphanes, et que le clair de lune fait
Opalines parmi l’ombre verte des branches,
—Un Watteau rv par Raffet!—
S’entrelacent parmi l’ombre verte des arbres
D’un geste alangui, plein d’un dsespoir profond,
Puis, autour des massifs, des bronzes et des marbres
Trs lentement dansent en rond.
—Ces spectres agits, sont-ce donc la pense
Du pote ivre, ou son regret, ou son remords,
Ces spectres agits en tourbe cadence,
Ou bien tout simplement des morts?
Sont-ce donc ton remords, rvasseur qu’invite
L’horreur, ou ton regret, ou ta pense,—hein?—tous
Ces spectres qu’un vertige irrsistible agite,
Ou bien des morts qui seraient fous?—
N’importe! ils vont toujours, les fbriles fantmes,
Menant leur ronde vaste et morne et tressautant
Comme dans un rayon de soleil des atomes,
Et s’vaporent l’instant
Humide et blme o l’aube teint l’un aprs l’autre
Les cors, en sorte qu’il ne reste absolument
Plus rien—absolument—qu’un jardin de Lentre,
Correct, ridicule et charmant.
V
CHANSON D’AUTOMNE
Les sanglots longs
Des violons
De l’automne
Blessent mon coeur
D’une langueur
Monotone.
Tout suffocant
Et blme, quand
Sonne l’heure,
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure,
Et je m’en vais
Au vent mauvais
Qui m’emporte
De, del,
Pareil la
Feuille morte.
VI
L’HEURE DU BERGER
La lune est rouge au brumeux horizon,
Dans un brouillard qui danse, la prairie
S’endort fumeuse, et la grenouille crie
Par les joncs verts o circule un frisson,
Les fleurs des eaux referment leurs corolles,
Des peupliers profilent aux lointains,
Droits et serrs, leurs spectres incertains,
Vers les buissons errent les lucioles,
Les chats-huants s’veillent, et sans bruit
Rament l’air noir avec leurs ailes lourdes,
Et le znith s’emplit de lueurs sourdes.
Blanche, Vnus merge, et c’est la Nuit.
VII
LE ROSSIGNOL
Comme un vol criard d’oiseaux en moi,
Tous mes souvenirs s’abattent sur moi,
S’abattent parmi le feuillage jaune
De mon coeur mirant son tronc pli d’aune
Au tain violet de l’eau des Regrets,
Qui mlancoliquement coule auprs,
S’abattent, et puis la rumeur mauvaise
Qu’une brise moite en montant apaise,
S’teint par degrs dans l’arbre, si bien
Qu’au bout d’un instant on n’entend plus rien,
Plus rien que la voix clbrant l’Absente,
Plus rien que la voix,— si languissante!—
De l’oiseau qui fut mon Premier Amour,
Et qui chante encor comme au premier jour,
Et, dans la splendeur triste d’une lune
Se levant blafarde et solennelle, une
Nuit mlancolique et lourde d’t,
Pleine de silence et d’obscurit,
Berce sur l’azur qu’un vent doux effleure
L’arbre qui frissonne et l’oiseau qui pleure.
CAPRICES
A Henry Winter.
I
FEMME ET CHATTE
Elle jouait avec sa chatte,
Et c’tait merveille de voir
La main blanche et la blanche patte
S’battre dans l’ombre du soir.
Elle cachait—la sclrate!—
Sous ces mitaines de fil noir
Ses meurtriers ongles d’agate,
Coupants et clairs comme un rasoir.
L’autre aussi faisait la sucre
Et rentrait sa griffe acre,
Mais le diable n’y perdait rien…
Et dans le boudoir o, sonore,
Tintait son rire arien,
Brillaient quatre points de phosphore.
II
JSUITISME
Le chagrin qui me tue est ironique, et joint
Le sarcasme au supplice, et ne torture point
Franchement, mais picote avec un faux sourire
Et transforme en spectacle amusant mon martyre,
Et sur la bire o gt mon Rve mi-pourri,
Beugle un De profundis sur l’air du Traderi.
C’est un Tartufe qui, tout en mettant des roses
Pompons sur les autels des Madones moroses,
Tout en faisant chanter des enfants de choeurs
Ces cantiques d’eau tide o se baigne le coeur,
Tout en ami donnant ces guimpes amoureuses
Qui serpentent au coeur sacr des Bienheureuses,
Tout en disant voix basse son chapelet,
Tout en passant la main sur son petit collet,
Tout en parlant avec componction de l’me,
N’en mdite pas moins ma ruine,—l’infme!
III
LA CHANSON DES INGNUES
Nous sommes les Ingnues
Aux bandeaux plats, l’oeil bleu,
Qui vivons, presque inconnues,
Dans les romans qu’on lit peu.
Nous allons entrelaces,
Et le jour n’est pas plus pur
Que le fond de nos penses,
Et nos rves sont d’azur,
Et nous courons par les prs
Et rions et babillons
Des aubes jusqu’aux vespres,
Et chassons aux papillons,
Et des chapeaux de bergres
Dfendent notre fracheur,
Et nos robes—si lgres—
Sont d’une extrme blancheur,
Les Richelieux, les Caussades
Et les chevaliers Faublas
Nous prodiguent les oeillades,
Les saluts et les ‘hlas!’
Mais en vain, et leurs mimiques
Se viennent casser le nez
Devant les plis ironiques
De nos jupons dtourns,
Et notre candeur se raille
Des imaginations
De ces raseurs de muraille,
Bien que parfois nous sentions
Battre nos coeurs sous nos mantes
A des pensers clandestins,
En nous sachant les amantes
Futures des libertins.
IV
UNE GRANDE DAME
Belle ‘ damner les saints’, troubler sous l’aumusse
Un vieux juge! Elle marche imprialement.
Elle parle—et ses dents font un miroitement—
Italien, avec un lger accent russe.
Ses yeux froids o l’mail sertit le bleu de Prusse
Ont l’clat insolent et dur du diamant.
Pour la splendeur du sein, pour le rayonnement
De la peau, nulle reine ou courtisane, ft-ce
Cloptre la lynce ou la chatte Ninon,
N’gale sa beaut patricienne, non!
Vois, bon Buridan: ‘C’est une grande dame!’
Il faut—pas de milieu!—l’adorer genoux.
Plat, n’ayant d’astre aux cieux que ces lourds cheveux roux
Ou bien lui cravacher la face, cette femme!
V
MONSIEUR PRUDHOMME
Il est grave: il est maire et pre de famille.
Son faux col engloutit son oreille. Ses yeux,
Dans un rve sans fin, flottent insoucieux
Et le printemps en fleurs sur ses pantoufles brille.
Que lui fait l’astre d’or, que lui fait la charmille
O l’oiseau chante l’ombre, et que lui font les cieux,
Et les prs verts et les gazons silencieux?
Monsieur Prudhomme songe marier sa fille
Avec monsieur Machin, un jeune homme cossu.
Il est juste-milieu, botaniste et pansu,
Quant aux faiseurs de vers, ces vauriens, ces maroufles,
Ces fainants barbus, mal peigns, il les a
Plus en horreur que son ternel coryza,
Et le printemps en fleurs brille sur ses pantoufles.
INITIUM
Les violons mlaient leur rire du chant des fltes,
Et le bal tournoyait quand je la vis passer
Avec ses cheveux blonds jouant sur les volutes
De son oreille o mon Dsir comme un baiser
S’lanait et voulait lui parler sans oser.
Cependant elle allait, et la mazurque lente
La portait dans son rythme indolent comme un vers,
—Rime mlodieuse, image tincelante,—
Et son me d’enfant rayonnait travers
La sensuelle ampleur de ses yeux gris et verts.
Et depuis, ma Pense—immobile—contemple
Sa Splendeur voque, en adoration,
Et, dans son Souvenir, ainsi que dans un temple,
Mon Amour entre, plein de superstition.
Et je crois que voici venir la Passion.
AVITRI
(MAHA-BRAHATA)
Pour sauver son poux, avitri fit le voeu
De se tenir trois jours entiers, trois nuits entires,
Debout, sans remuer jambes, buste ou paupires:
Rigide, ainsi que dit Vyaa, comme un pieu.
Ni, Curya, tes rais cruels, ni la langueur
Que Tchandra vient pandre minuit sur les cimes
Ne firent dfaillir, dans leurs efforts sublimes,
La pense et la chair de la femme au grand coeur.
—Que nous cerne l’Oubli, noir et morne assassin,
Ou que l’Envie aux traits amers nous ait pour cibles.
Ainsi que avitri faisons-nous impassibles,
Mais, comme elle, dans l’me ayons un haut dessein.
SUB URBE
Les petits ifs du cimetire
Frmissent au vent himal,
Dans la glaciale lumire.
Avec des bruits sourds qui font mal,
Les croix de bois des tombes neuves
Vibrent sur un ton anormal.
Silencieux comme les fleuves,
Mais gros de pleurs comme eux de flots,
Les fils, les mres elles veuves,
Par les dtours du triste enclos,
S’coulent,—lente thorie,
Au rythme heurt des sanglots.
Le sol sous les pieds glisse et crie,
L-haut de grands nuages tors
S’chevlent avec furie.
Pntrant comme le remords,
Tombe un froid lourd qui vous coeure,
Et qui doit filtrer chez les morts,
Chez les pauvres morts, toute heure
Seuls, et sans cesse grelottants,
—Qu’on les oublie ou qu’on les pleure!—
Ah! vienne vite le Printemps,
Et son clair soleil qui caresse,
Et ses doux oiseaux caquetants!
Refleurisse l’enchanteresse
Gloire des jardins et des champs
Que l’pre hiver tient en dtresse!
Et que,—des levers aux couchants,
L’or dilat d’un ciel sans bornes
Berce de parfums et de chants,
Chers endormis, vos sommeils mornes!
SRNADE
Comme la voix d’un mort qui chanterait
Du fond de sa fosse,
Matresse, entends monter vers ton retrait
Ma voix aigre et fausse.
Ouvre ton me et ton oreille au son
De la mandoline:
Pour toi j’ai fait, pour toi, cette chanson
Cruelle et cline.
Je chanterai tes yeux d’or et d’onyx
Purs de toutes ombres,
Puis le Lth de ton sein, puis le Styx
De tes cheveux sombres.
Comme la voix d’un mort qui chanterait
Du fond de sa fosse,
Matresse, entends monter vers ton retrait
Ma voix aigre et fausse.
Puis je louerai beaucoup, comme il convient,
Cette chair bnie
Dont le parfum opulent me revient
Les nuits d’insomnie.
Et pour finir, je dirai le baiser
De ta lvre rouge,
Et ta douceur me martyriser,
—Mon Ange!—ma Gouge!
Ouvre ton me et ton oreille au son
De ma mandoline:
Pour toi j’ai fait, pour toi, cette chanson
Cruelle et cline.
UN DAHLIA
Courtisane au sein dur, l’oeil opaque et brun
S’ouvrant avec lenteur comme celui d’un boeuf,
Ton grand torse reluit ainsi qu’un marbre neuf.
Fleur grasse et riche, autour de toi ne flotte aucun
Arme, et la beaut sereine de ton corps
Droule, mate, ses impeccables accords.
Tu ne sens mme pas la chair, ce got qu’au moins
Exhalent celles-l qui vont fanant les foins,
Et tu trnes, Idole insensible l’encens.
—Ainsi le Dahlia, roi vtu de splendeur,
lve, sans orgueil, sa tte sans odeur,
Irritant au milieu des jasmins agaants!
NEVERMORE
Allons, mon pauvre coeur, allons, mon vieux complice,
Redresse et peins neuf tous tes arcs triomphaux,
Brle un encens ranci sur tes autels d’or faux,
Sme de fleurs les bords bants du prcipice,
Allons, mon pauvre coeur, allons, mon vieux complice!
Pousse Dieu ton cantique, chantre rajeuni,
Entonne, orgue enrou, des Te Deum splendides,
Vieillard prmatur, mets du fard sur tes rides:
Couvre-toi de tapis mordors, mur jauni,
Pousse Dieu ton cantique, chantre rajeuni.
Sonnez, grelots, sonnez, clochettes, sonnez, cloches!
Car mon rve impossible a pris corps, et je l’ai
Entre mes bras press: le Bonheur, cet ail
Voyageur qui de l’Homme vite les approches.
—Sonnez, grelots, sonnez, clochettes, sonnez, cloches!
Le Bonheur a march cte cte avec moi,
Mais la FATALIT ne connat point de trve:
Le ver est dans le fruit, le rveil dans le rve,
Et le remords est dans l’amour: telle est la loi.
—Le Bonheur a march cte cte avec moi.
IL BACIO
Baiser! rose trmire au jardin des caresses!
Vif accompagnement sur le clavier des dents
Des doux refrains qu’Amour chante en les coeurs ardents,
Avec sa voix d’archange aux langueurs charmeresses!
Sonore et gracieux Baiser, divin Baiser!
Volupt non pareille, ivresse innarrable!
Salut! L’homme, pench sur ta coupe adorable,
S’y grise d’un bonheur qu’il ne sait puiser.
Comme le vin du Rhin et comme la musique,
Tu consoles et tu berces, et le chagrin
Expire avec la moue en ton pli purpurin…
Qu’un plus grand, Goethe ou Will, te dresse un vers classique.
Moi, je ne puis, chtif trouvre de Paris,
T’offrir que ce bouquet de strophes enfantines:
Sois bnin et, pour prix, sur les lvres mutines
D’Une que je connais, Baiser, descends, et ris.
DANS LES BOIS
D’autres,—des innocents ou bien des lymphatiques,—
Ne trouvent dans les bois que charmes langoureux,
Souffles frais et parfums tides. Ils sont heureux!
D’autres s’y sentent pris—rveurs—d’effrois mystiques.
Ils sont heureux! Pour moi, nerveux, et qu’un remords
pouvantable et vague affole sans relche,
Par les forts je tremble la faon d’un lche
Qui craindrait une embche ou qui verrait des morts.
Ces grands rameaux jamais apaiss, comme l’onde.
D’o tombe un noir silence avec une ombre encor
Plus noire, tout ce morne et sinistre dcor
Me remplit d’une horreur triviale et profonde.
Surtout les soirs d’t: la rougeur du couchant
Se fond dans le gris bleu des brumes qu’elle teinte
D’incendie et de sang, et l’anglus qui tinte
Au lointain semble un cri plaintif se rapprochant.
Le vent se lve chaud et lourd, un frisson passe
Et repasse, toujours plus fort, dans l’paisseur
Toujours plus sombre des hauts chnes, obsesseur,
Et s’parpille, ainsi qu’un miasme, dans l’espace.
La nuit vient. Le hibou s’envole. C’est l’instant
O l’on songe aux rcits des aeules naves…
Sous un fourr, l-bas, l-bas, des sources vives
Font un bruit d’assassins posts se concertant.
NOCTURNE PARISIEN
A Edmond Lepelletier.
Roule, roule ton flot indolent, morne Seine,—
Sur tes ponts qu’environne une vapeur malsaine
Bien des corps ont pass, morts, horribles, pourris,
Dont les mes avaient pour meurtrier Paris.
Mais tu n’en tranes pas, en tes ondes glaces,
Autant que ton aspect m’inspire de penses!
Le Tibre a sur ses bords des ruines qui font
Monter le voyageur vers un pass profond,
Et qui, de lierre noir et de lichen couvertes,
Apparaissent, tas gris, parmi les herbes vertes.
Le gai Guadalquivir rit aux blonds orangers
Et reflte, les soirs, des bolros lgers,
Le Pactole a son or, le Bosphore a sa rive
O vient faire son kief l’odalisque lascive.
Le Rhin est un burgrave, et c’est un troubadour
Que le Lignon, et c’est un ruffian que l’Adour.
Le Nil, au bruit plaintif de ses eaux endormies,
Berce de rves doux le sommeil des momies.
Le grand Meschascb, fier de ses joncs sacrs,
Charrie augustement ses lots mordors,
Et soudain, beau d’clairs, de fracas et de fastes,
Splendidement s’croule en Niagaras vastes.
L’Eurotas, o l’essaim des cygnes familiers
Mle sa grce blanche au vert mat des lauriers,
Sous son ciel clair que raie un vol de gypate,
Rhythmique et caressant, chante ainsi qu’un pote.
Enfin, Ganga, parmi les hauts palmiers tremblants
Et les rouges padmas, marche pas fiers et lents
En appareil royal, tandis qu’au loin la foule
Le long des temples va, hurlant, vivante houle,
Au claquement massif des cymbales de bois,
Et qu’accroupi, filant ses notes de hautbois,
Du saut de l’antilope agile attendant l’heure,
Le tigre jaune au dos ray s’tire et pleure.
—Toi, Seine, tu n’as rien. Deux quais, et voil tout,
Deux quais crasseux, sems de l’un l’autre bout
D’affreux bouquins moisis et d’une foule insigne
Qui fait dans l’eau des ronds et qui pche la ligne.
Oui, mais quand vient le soir, rarfiant enfin
Les passants allourdis de sommeil ou de faim,
Et que le couchant met au ciel des taches rouges,
Qu’il fait bon aux rveurs descendre de leurs bouges
Et, s’accoudant au pont de la Cit, devant
Notre-Dame, songer, coeur et cheveux au vent!
Les nuages, chasss par la brise nocturne,
Courent, cuivreux et roux, dans l’azur taciturne.
Sur la tte d’un roi du portail, le soleil,
Au moment de mourir, pose un baiser vermeil.
L’Hirondelle s’enfuit l’approche de l’ombre.
Et l’on voit voleter la chauve-souris sombre.
Tout bruit s’apaise autour. A peine un vague son
Dit que la ville est l qui chante sa chanson,
Qui lche ses tyrans et qui mord ses victimes,
Et c’est l’aube des vols, des amours et des crimes.
—Puis, tout coup, ainsi qu’un tnor effar
Lanant dans l’air bruni son cri dsespr,
Son cri qui se lamente, et se prolonge, et crie,
clate en quelque coin l’orgue de Barbarie:
Il brame un de ces airs, romances ou polkas,
Qu’enfants nous tapotions sur nos harmonicas
Et qui font, lents ou vifs, rjouissants ou tristes,
Vibrer l’me aux proscrits, aux femmes, aux artistes.
C’est corch, c’est faux, c’est horrible, c’est dur,
Et donnerait la fivre Rossini, pour sr,
Ces rires sont trans, ces plaintes sont haches,
Sur une clef de sol impossible juches,
Les notes ont un rhume et les do sont des la,
Mais qu’importe! l’on pleure en entendant cela!
Mais l’esprit, transport dans le pays des rves,
Sent ces vieux accords couler en lui des sves,
La piti monte au coeur et les larmes aux yeux,
Et l’on voudrait pouvoir goter la paix des cieux,
Et dans une harmonie trange et fantastique
Qui tient de la musique et tient de la plastique,
L’me, les inondant de lumire et de chant,
Mle les sons de l’orgue aux rayons du couchant!
—Et puis l’orgue s’loigne, et puis c’est le silence,
Et la nuit terne arrive et Vnus se balance
Sur une molle nue au fond des cieux obscurs:
On allume les becs de gaz le long des murs.
Et l’astre et les flambeaux font des zigzags fantasques
Dans le fleuve plus noir que le velours des masques,
Et le contemplateur sur le haut garde-fou
Par l’air et par les ans rouill comme un vieux sou
Se penche, en proie aux vents nfastes de l’abme.
Pense, espoir serein, ambition sublime,
Tout, jusqu’au souvenir, tout s’envole, tout fuit,
Et l’on est seul avec Paris, l’Onde et la Nuit!
—Sinistre trinit! De l’ombre dures portes!
Man-Thcel-Phars des illusions mortes!
Vous tes toutes trois, Goules de malheur,
Si terribles, que l’Homme, ivre de la douleur
Que lui font en perant sa chair vos doigts de spectre,
L’Homme, espce d’Oreste qui manque une lectre,
Sous la fatalit de votre regard creux
Ne peut rien et va droit au prcipice affreux,
Et vous tes aussi toutes trois si jalouses
De tuer et d’offrir au grand Ver des pouses
Qu’on ne sait que choisir entre vos trois horreurs,
Et si l’on craindrait moins prir par les terreurs
Des Tnbres que sous l’Eau sourde, l’Eau profonde,
Ou dans tes bras fards, Paris, reine du monde!
—Et tu coules toujours, Seine, et, tout en rampant,
Tu tranes dans Paris ton cours de vieux serpent,
De vieux serpent boueux, emportant vers tes havres
Tes cargaisons de bois, de houille et de cadavres!
MARCO {1}
Note 1: (retour) L’auteur prvient que le rythme et le dessin de cette ritournelle sont emprunts un pome faisant partie du recueil de M. J.-T. de Saint-Germain: les Roses de Nol (Mignon). Il a cru intressant d’exploiter au profit d’un tout autre ordre d’ides une forme lyrique un peu nave peut-tre, mais assez harmonieuse toutefois dans sa maladresse mme, et qui n’a point trop mal russi, ce semble, son inventeur, pote aimable.
Quand Marco passait, tous les jeunes hommes
Se penchaient pour voir ses yeux, des Sodomes
O les feux d’Amour brlaient sans piti
Ta pauvre cahute, froide Amiti,
Tout autour dansaient des parfums mystiques
O l’me, en pleurant, s’anantissait.
Sur ses cheveux roux un charme glissait,
Sa robe rendait d’tranges musiques
Quand Marco passait.
Quand Marco chantait, ses mains, sur l’ivoire,
voquaient souvent la profondeur noire
Des airs primitifs que nul n’a redits,
Et sa voix montait dans les paradis
De la symphonie immense des rves,
Et l’enthousiasme alors transportait
Vers des cieux connus quiconque coutait
Ce timbre d’argent qui vibrait sans trves,
Quand Marco chantait.
Quand Marco pleurait, ses terribles larmes
Dfiaient l’clat des plus belles armes,
Ses lvres de sang fonaient leur carmin
Et son dsespoir n’avait rien d’humain,
Pareil au foyer que l’huile exaspre,
Son courroux croissait, rouge, et l’on aurait
Dit d’une lionne l’pre fort
Communiquant sa terrible colre,
Quand Marco pleurait.
Quand Marco dansait, sa jupe moire
Allait et venait comme une mare,
Et, tel qu’un bambou flexible, son flanc
Se tordait, faisant saillir son sein blanc,
Un clair partait. Sa jambe de marbre,
Emphatiquement cynique, haussait
Ses mates splendeurs, et cela faisait
Le bruit du vent de la nuit dans un arbre,
Quand Marco dansait.
Quand Marco dormait, oh! quels parfums d’ambre
Et de chair mls opprimaient la chambre!
Sous les draps la ligne exquise du dos
Ondulait, et dans l’ombre des rideaux
L’haleine montait, rhythmique et lgre,
Un sommeil heureux et calme fermait
Ses yeux, et ce doux mystre charmait
Les vagues objets parmi l’tagre,
Quand Marco dormait.
Mais quand elle aimait, des flots de luxure
Dbordaient, ainsi que d’une blessure
Sort un sang vermeil qui fume et qui bout,
De ce corps cruel que son crime absout:
Le torrent rompait les digues de l’me,
Noyait la pense, et bouleversait
Tout sur son passage, et rebondissait
Souple et dvorant comme de la flamme,
Et puis se glaait.
CESAR BORGIA
PORTRAIT EN PIED
Sur fond sombre noyant un riche vestibule
O le buste d’Horace et celui de Tibulle
Lointain et de profil rvent en marbre blanc,
La main gauche au poignard et la main droite au flanc,
Tandis qu’un rire doux redresse la moustache,
Le duc CSAR, un grand costume, se dtache.
Les yeux noirs, les cheveux noirs et le velours noir
Vont contrastant, parmi l’or somptueux d’un soir,
Avec la pleur mate et belle du visage
Vu de trois quarts et trs ombr, suivant l’usage
Des Espagnols ainsi que des Vnitiens,
Dans les portraits de rois et de praticiens.
Le nez palpite, fin et droit. La bouche, rouge,
Est mince, et l’on dirait que la tenture bouge
Au souffle vhment qui doit s’en exhaler.
Et le regard errant avec laisser-aller,
Devant lui, comme il sied aux anciennes peintures,
Fourmille de pensers normes d’aventures.
Et le front, large et pur, sillonn d’un grand pli,
Sans doute de projets formidables rempli,
Mdite sous la toque o frissonne une plume
S’lanant hors d’un noeud de rubis qui s’allume.
LA MORT DE PHILIPPE II
A Louis-Xavier de Ricard.
Le coucher d’un soleil de septembre ensanglante
La plaine morne et l’pre arte des sierras
Et de la brume au loin l’installation lente.
Le Guadarrama pousse entre les sables ras
Son flot htif qui va rflchissant par places
Quelques oliviers nains tordant leurs maigres bras.
Le grand vol anguleux des perviers rapaces
Raye l’ouest le ciel mat et rouge qui brunit,
Et leur cri rauque grince travers les espaces.
Despotique, et dressant au-devant du znith
L’entassement brutal de ses tours octogones,
L’Escurial tend son orgueil de granit.
Les murs carrs, percs de vitraux monotones,
Montent droits, blancs et nus, sans autres ornements
Que quelques grils sculpts qu’alternent des couronnes.
Avec des bruits pareils aux rudes hurlements
D’un ours que des bergers navrent de coups de pioches
Et dont l’cho redit les rles alarmants,
Torrent de cris roulant ses ondes sur les roches,
Et puis s’vaporant en de murmures longs,
Sinistrement dans l’air, du soir, tintent les cloches.
Par les cours du palais, o l’ombre met ses plombs,
Circule—tortueux serpent hiratique—
Une procession de moines aux frocs blonds
Qui marchent un par un, suivant l’ordre asctique,
Et qui, pieds nus, la corde aux reins, un cierge en main,
Ululent d’une voix formidable un cantique.
—Qui donc ici se meurt? Pour qui sur le chemin
Cette paille pandue et ces croix long-voiles
Selon le rituel catholique romain?—
La chambre est haute, vaste et sombre. Nielles,
Les portes d’acajou massif tournent sans bruit,
Leurs serrures tant, comme leurs gonds, huiles.
Une vague rougeur plus triste que la nuit
Filtre rais indcis par les plis des tentures
A travers les vitraux o le couchant reluit,
Et fait papilloter sur les architectures,
A l’angle des objets, dans l’ombre du plafond,
Ce halo singulier qu’ont voit dans les peintures.
Parmi le clair-obscur transparent et profond
S’agitent effars des hommes et des femmes
A pas furtifs, ainsi que les hynes font.
Riches, les vtements des seigneurs et des dames
Velours panne, satin soie, hermine et brocart,
Chantent l’ode du luxe en chatoyantes gammes,
Et, trouant par clairs distancs avec art
L’opaque demi-jour, les cuirasses de cuivre
Des gardes aligns scintillent de trois quart
Un homme en robe noire, visage de guivre,
Se penche, en caressant de la main ses fmurs.
Sur un lit, comme l’on se penche sur un livre.
Des rideaux de drap d’or roides comme des murs
Tombent d’un dais de bois d’bne en droite ligne,
Dardant temps gaux l’oeil des diamants durs.
Dans le lit, un vieillard d’une maigreur insigne
grne un chapelet, qu’il baise par moment,
Entre ses doigts crochus comme des brins de vigne
Ses lvres font ce sourd et long marmottement,
Dernier signe de vie et premier d’agonie,
—Et son haleine pue pouvantablement.
Dans sa barbe couleur d’amarante ternie,
Parmi ses cheveux blancs o luisent des tons roux
Sous son linge bord de dentelle jaunie,
Avides, empresss, fourmillants, et jaloux
De pomper tout le sang malsain du mourant fauve,
En bataillons serrs vont et viennent les poux.
C’est le Roi, ce mourant qu’assist un mire chauve,
Le Roi Philippe Deux d’Espagne,—Saluez!
Et l’aigle autrichien s’effare dans l’alcve,
Et de grands cussons, aux murailles clous,
Brillent, et maints drapeaux o l’oiseau noir s’tale
Pendent de del, vaguement remus!…
—La porte s’ouvre. Un flot de lumire brutale
Jaillit soudain, dferle et bientt s’tablit
Par l’ampleur de la chambre en nappe horizontale:
Porteurs de torches, roux, et que l’extase emplit,
Entrent dix capucins qui restent en prire:
Un d’entre eux se dtache et marche droit au lit.
Il est grand, jeune et maigre, et son pas est de pierre,
Et les lancements farouches de la Foi
Rayonnent travers les cils de sa paupire,
Son pied ferme et pesant et lourd, comme la Loi,
Sonne sur les tapis, rgulier, emphatique,
Les yeux baisss en terre, il marche droit au Roi.
Et tous sur son trajet dans un geste extatique
S’agenouillent, frappant trois fois du poing leur sein,
Car il porte avec lui le sacr Viatique.
Du lit s’carte avec respect le matassin,
Le mdecin du corps, en pareille occurrence,
Devant cder la place, Ame, ton mdecin.
La figure du Roi, qu’tire la souffrance,
A l’approche du fray se rassrne un peu.
Tant la religion est grosse d’esprance!
Le moine, cette fois, ouvrant son oeil de feu,
Tout brillant de pardons mls des reproches,
S’arrte, messager des justices de Dieu.
—Sinistrement dans l’air du soir tintent les cloches.
Et la Confession commence. Sur le flanc
Se retournant, le roi, d’un ton sourd, bas et grle,
Parle de feux, de juifs, de bchers et de sang.
—‘Vous repentiriez-vous par hasard de ce zle?
Brler des juifs, mais c’est une dilection!
Vous ftes, ce faisant, orthodoxe et fidle.’—
Et, se ptrifiant dans l’exaltation,
Le Rvrend, les bras croiss en croix, tte dresse,
Semble l’esprit sculpt de l’Inquisition.
Ayant repris haleine, et d’une voix casse,
Pniblement, et comme arrachant par lambeaux
Un remords douloureux du fond de sa pense,
Le Roi, dont la lueur tragique des flambeaux
claire le visage osseux et le front blme,
Prononce ces mots: Flandre, Albe, morts, sacs, tombeaux.
—‘Les Flamands, rvolts contre l’glise mme,
Furent trs justement punis, votre los,
Et je m’tonne, Roi, de ce doute suprme.
‘Poursuivez.’—Et le roi parla de don Carlos.
Et deux larmes coulaient tremblantes sur sa joue
Palpitante et colle affreusement l’os.
—‘Vous dplorez cet acte, et moi je vous en loue!
L’Infant, certes, tait coupable au dernier point,
Ayant voulu tirer l’Espagne dans la boue
‘De l’hrsie anglaise, et de plus n’ayant point
Frmi de conspirer— ruses abhorres!—
Et contre un Pre, et contre un Matre, et contre un Oint!’—
Le moine ensuite dit les formules sacres
Par quoi tous nos pchs nous sont remis, et puis,
Prenant l’Hostie avec ses deux mains timores,
Sur la langue du Roi la dposa. Tous bruits
Se sont tus, et la Cour, pliant dans la dtresse,
Pria, muette et ple, et nul n’a su depuis
Si sa prire fut sincre ou bien tratresse.
—Qui dira les pensers obscurs que protgea
Ce silence, brouillard complice qui se dresse?—
Ayant communi, le Roi se replongea
Dans l’ampleur des coussins, et la batitude
De l’Absolution reue ouvrant dj
L’oeil de son me au jour clair de la certitude,
panouit ses traits en un sourire exquis
Qui tenait de la fivre et de la quitude.
Et tandis qu’alentour ducs, comtes et marquis,
Pleins d’angoisses, fichaient leurs yeux sous la courtine.
L’me du Roi montait aux cieux conquis.
Puis le rle des morts hurla dans la poitrine
De l’auguste malade avec des sursauts fous:
Tel l’ouragan passe travers une ruine.
Et puis, plus rien, et puis, sortant par mille trous,
Ainsi que des serpents frileux de leur repaire,
Sur le corps froid les vers se mlrent aux poux.
—Philippe Deux tait la droite du Pre.
PILOGUE
I
Le soleil, moins ardent, luit clair au ciel moins dense.
Balancs par un vent automnal et berceur,
Les rosiers du jardin s’inclinent en cadence.
L’atmosphre ambiante a des baisers de soeur,
La Nature a quitt pour cette fois son trne
De splendeur, d’ironie et de srnit:
Clmente, elle descend, par l’ampleur de l’air jaune,
Vers l’homme, son sujet pervers et rvolt.
Du pan de son manteau que l’abme constelle,
Elle daigne essuyer les moiteurs de nos fronts,
Et son me ternelle et sa forme immortelle
Donnent calme et vigueur nos coeurs mous et prompts.
Le frais balancement des ramures chenues,
L’horizon largi plein de vagues chansons,
Tout, jusqu’au vol joyeux des oiseaux et des nues,
Tout aujourd’hui console et dlivre.—Pensons.
II
Donc, c’en est fait. Ce livre est clos. Chres Ides
Qui rayiez mon ciel gris de vos ailes de feu
Dont le vent caressait mes tempes obsdes,
Vous pouvez revoler devers l’Infini bleu!
Et toi, Vers qui tintais, et toi, Rime sonore,
Et vous, Rythmes chanteurs, et vous, dlicieux
Ressouvenirs, et vous, Rves, et vous encore,
Images qu’voquaient mes dsirs anxieux,
Il faut nous sparer. Jusqu’aux jours plus propices
Ou nous runira l’Art, notre matre, adieu,
Adieu, doux compagnons, adieu, charmants complices!
Vous pouvez revoler devers l’Infini bleu.
Aussi bien, nous avons fourni notre carrire
Et le jeune talon de notre bon plaisir,
Tout affol qu’il est de sa course premire,
A besoin d’un peu d’ombre et de quelque loisir.
—Car toujours nous t’avons fixe, Posie,
Notre astre unique et notre unique passion,
T’ayant seule pour guide et compagne choisie,
Mre, et nous mfiant de l’Inspiration.
III
Ah! l’Inspiration superbe et souveraine,
L’grie aux regards lumineux et profonds,
Le Genium commode et l’Erato soudaine,
L’Ange des vieux tableaux avec des ors au fond,
La Muse, dont la voix est puissante sans doute,
Puisqu’elle fait d’un coup dans les premiers cerveaux,
Comme ces pissenlits dont s’maille la route,
Pousser tout un jardin de pomes nouveaux,
La Colombe, le Saint-Esprit, le saint dlire,
Les Troubles opportuns, les Transports complaisants,
Gabriel et son luth, Apollon et sa lyre,
Ah! l’Inspiration, on l’invoque seize ans!
Ce qu’il nous faut nous, les Suprmes Poles
Qui vnrons les Dieux et qui n’y croyons pas,
A nous dont nul rayon n’aurola les ttes,
Dont nulle Batrix n’a dirig les pas,
A nous qui ciselons les mots comme des coupes
Et qui faisons des vers mus trs froidement,
A nous qu’on ne voit point les soirs aller par groupes
Harmonieux au bord des lacs et nous pmant,
Ce qu’il nous faut, nous, c’est, aux lueurs des lampes,
La science conquise et le sommeil dompt,
C’est le front dans les mains du vieux Faust des estampes,
C’est l’Obstination et c’est la Volont!
C’est la Volont sainte, absolue, ternelle,
Cramponne au projet comme un noble condor
Aux flancs fumants de peur d’un buffle, et d’un coup d’aile
Emportant son trophe travers les cieux d’or!
Ce qu’il nous faut nous, c’est l’tude sans trve,
C’est l’effort inou, le combat non pareil,
C’est la nuit, l’pre nuit du travail, d’o se lve
Lentement, lentement, l’Oeuvre, ainsi qu’un soleil!
Libre nos Inspirs, coeurs qu’une oeillade enflamme.
D’abandonner leur tre aux vents comme un bouleau:
Pauvres gens! l’Art n’est pas d’parpiller son me:
Est-elle eu marbre, ou non, la Vnus de Milo?
Nous donc, sculptons avec le ciseau des Penses
Le bloc vierge du Beau, Paros immacul,
Et faisons-en surgir sous nos mains empresses
Quelque pure statue au pplos toile,
Afin qu’un jour, frappant de rayons gris et roses
Le chef-d’oeuvre serein, comme un nouveau Memnon
L’Aube-Postrit, fille des Temps moroses,
Fasse dans l’air futur retentir notre nom!
FTES GALANTES
CLAIR DE LUNE
Votre me est un paysage choisi
Que vont charmants masques et bergamasques,
Jouant du luth et dansant et quasi
Tristes sous leurs dguisements fantasques.
Tout en chantant sur le mode mineur
L’amour vainqueur et la vie opportune,
Ils n’ont pas l’air de croire leur bonheur
Et leur chanson se mle au clair de lune,
Au calme clair de lune triste et beau,
Qui fait rver les oiseaux dans les arbres
Et sangloter d’extase les jets d’eau,
Les grands jets d’eau sveltes parmi les marbres.
PANTOMIME
Pierrot, qui n’a rien d’un Clitandre,
Vide un flacon sans plus attendre,
Et, pratique, entame un pt.
Cassandre, au fond de l’avenue,
Verse une larme mconnue
Sur son neveu dshrit.
Ce faquin d’Arlequin combine
L’enlvement de Colombine
Et pirouette quatre fois.
Colombine rve, surprise
De sentir un coeur dans la brise
Et d’entendre en son coeur des voix.
SUR L’HERBE
L’abb divague.—Et toi, marquis,
Tu mets de travers ta perruque.
—Ce vieux vin de Chypre est exquis
Moins, Camargo, que votre nuque.
—Ma flamme…—Do, mi, sol, la, si.
—L’abb, ta noirceur se dvoile.
—Que je meure, Mesdames, si
Je ne vous dcroche une toile.
—Je voudrais tre petit chien!
—Embrassons nos bergres, l’une
Aprs l’autre.—Messieurs, eh bien?
—Do, mi, sol.—H! bonsoir la Lune!
L’ALLE
Farde et peinte comme au temps des bergeries,
Frle parmi les noeuds normes de rubans,
Elle passe, sous les ramures assombries,
Dans l’alle o verdit la mousse des vieux bancs,
Avec mille faons et mille affteries
Qu’on garde d’ordinaire aux perruches chries.
Sa longue robe queue est bleue, et l’ventail
Qu’elle froisse en ses doigts fluets aux larges bagues
S’gaie en des sujets rotiques, si vagues
Qu’elle sourit, tout en rvant, maint dtail.
—Blonde en somme. Le nez mignon avec la bouche
Incarnadine, grasse, et divine d’orgueil
Inconscient.—D’ailleurs plus fine que la mouche
Qui ravive l’clat un peu niais de l’oeil.
A LA PROMENADE
Le ciel si ple et les arbres si grles
Semblent sourire nos costumes clairs
Qui vont flottant lgers avec des airs
De nonchalance et des mouvements d’ailes.
Et le vent doux ride l’humble bassin,
Et la lueur du soleil qu’attnue
L’ombre des bas tilleuls de l’avenue
Nous parvient bleue et mourante dessein.
Trompeurs exquis et coquettes charmantes
Coeurs tendres mais affranchis du serment
Nous devisons dlicieusement,
Et les amants lutinent les amantes
De qui la main imperceptible sait
Parfois donner un soufflet qu’on change
Contre un baiser sur l’extrme phalange
Du petit doigt, et comme la chose est
Immensment excessive et farouche,
On est puni par un regard trs sec,
Lequel contraste, au demeurant, avec
La moue assez clmente de la bouche.
DANS LA GROTTE
L, je me tue vos genoux!
Car ma dtresse est infinie,
Et la tigresse pouvantable d’Hyrcanie
Est une agnelle au prix de vous.
Oui, cans, cruelle Clymne,
Ce glaive qui, dans maints combats,
Mit tant de Scipions et de Cyrus bas,
Va finir ma vie et ma peine!
Ai-je mme besoin de lui
Pour descendre aux Champs-Elyses?
Amour pera-t-il pas de flches aiguises
Mon coeur, ds que votre oeil m’et lui?
LES INGNUS
Les hauts talons luttaient avec les longues jupes,
En sorte que, selon le terrain et le vent,
Parfois luisaient des bas de jambe, trop souvent
Intercepts!—et nous aimions ce jeu de dupes.
Parfois aussi le dard d’un insecte jaloux
Inquitait le col des belles, sous les branches,
Et c’tait des clairs soudains de nuques blanches
Et ce rgal comblait nos jeunes yeux de fous.
Le soir tombait, un soir quivoque d’automne:
Les belles, se pendant rveuses nos bras,
Dirent alors des mots si spcieux, tout bas,
Que notre me depuis ce temps tremble et s’tonne.
CORTGE
Un singe en veste de brocart
Trotte et gambade devant elle
Qui froisse un mouchoir de dentelle
Dans sa main gante avec art,
Tandis qu’un ngrillon tout rouge
Maintient tour de bras les pans
De sa lourde robe en suspens,
Attentif tout pli qui bouge,
Le singe ne perd pas des yeux
La gorge blanche de la dame.
Opulent trsor que rclame
Le torse nu de l’un des dieux,
Le ngrillon parfois soulve
Plus haut qu’il ne faut, l’aigrefin,
Son fardeau somptueux, afin
De voir ce dont la nuit il rve,
Elle va par les escaliers,
Et ne parat pas davantage
Sensible l’insolent suffrage
De ses animaux familiers.
LES COQUILLAGES
Chaque coquillage incrust
Dans la grotte o nous nous aimmes
A sa particularit,
L’un a la pourpre de nos mes
Drobe au sang de nos coeurs
Quand je brle et que tu t’enflammes,
Cet autre affecte tes langueurs
Et tes pleurs alors que, lasse,
Tu m’en veux de mes yeux moqueurs,
Celui-ci contrefait la grce
De ton oreille, et celui-l
Ta nuque rose, courte et grasse,
Mais un, entre autres, me troubla.
EN PATINANT
Nous fmes dupes, vous et moi,
De manigances mutuelles,
Madame, cause de l’moi
Dont l’t frut nos cervelles.
Le Printemps avait bien un peu
Contribu, si ma mmoire
Est bonne, brouiller notre jeu,
Mais que d’une faon moins noire!
Car au printemps l’air est si frais
Qu’en somme les roses naissantes,
Qu’Amour semble entr’ouvrir exprs,
Ont des senteurs presque innocentes,
Et mme les lilas ont beau
Pousser leur haleine poivre,
Dans l’ardeur du soleil nouveau,
Cet excitant au plus rcre,
Tant le zphir souffle, moqueur,
Dispersant l’aphrodisiaque
Effluve, en sorte que le coeur
Chme et que mme l’esprit vaque,
Et qu’moustills, les cinq sens
Se mettent alors de la fte,
Mais seuls, tout seuls, bien seuls et sans
Que la crise monte la tte.
Ce fut le temps, sous de clairs ciels
(Vous en souvenez-vous, Madame?),
Des baisers superficiels
Et des sentiments fleur d’me,
Exempts de folles passions,
Pleins d’une bienveillance amne.
Comme tous deux nous jouissions
Sans enthousiasme—et sans peine!
Heureux instants!—mais vint l’t:
Adieu, rafrachissantes brises?
Un vent de lourde volupt
Investit nos mes surprises.
Des fleurs aux calices vermeils
Nous lancrent leurs odeurs mres,
Et partout les mauvais conseils
Tombrent sur nous des ramures
Nous cdmes tout cela,
Et ce fut un bien ridicule
Vertigo qui nous affola
Tant que dura la canicule.
Rires oiseux, pleurs sans raisons,
Mains indfiniment presses,
Tristesses moites, pmoisons,
Et quel vague dans les penses!
L’automne heureusement, avec
Son jour froid et ses bises rudes,
Vint nous corriger, bref et sec,
De nos mauvaises habitudes,
Et nous induisit brusquement
En l’lgance rclame
De tout irrprochable amant
Comme de toute digne aime…
Or cet Hiver, Madame, et nos
Parieurs tremblent pour leur bourse,
Et dj les autres traneaux
Osent nous disputer la course.
Les deux mains dans votre manchon,
Tenez-vous bien sur la banquette
Et filons!—et bientt Fanchon
Nous fleurira quoiqu’on caquette!
FANTOCHES
Scaramouche et Pulcinella,
Qu’un mauvais dessein rassembla,
Gesticulent, noirs sur la lune.
Cependant l’excellent docteur
Bolonais cueille avec lenteur
Des simples parmi l’herbe brune.
Lors sa fille, piquant minois,
Sous la charmille en tapinois
Se glisse demi-nue, en qute
De son beau pirate espagnol,
Dont un langoureux rossignol
Clame la dtresse tue-tte.
CYTHRE
Un pavillon claires-voies
Abrite doucement nos joies
Qu’ventent des rosiers amis,
L’odeur des roses, faible, grce
Au vent lger d’t qui passe,
Se mle aux parfums qu’elle a mis,
Comme ses yeux l’avaient promis,
Son courage est grand et sa lvre
Communique une exquise fivre,
Et l’Amour comblant tout, hormis
La Faim, sorbets et confitures
Nous prservent des courbatures.
EN BATEAU
L’toile du berger tremblote
Dans l’eau plus noire et le pilote
Cherche un briquet dans sa culotte.
C’est l’instant, Messieurs, ou jamais,
D’tre audacieux, et je mets
Mes deux mains partout dsormais!
Le chevalier Atys qui gratte
Sa guitare, Chloris l’ingrate
Lance une oeillade sclrate.
L’abb confesse bas gl,
Et ce vicomte drgl
Des champs donne son coeur la cl.
Cependant la lune se lve
Et l’esquif en sa course brve
File gament sur l’eau qui rve.
LE FAUNE
Un vieux faune de terre cuite
Rit au centre des boulingrins,
Prsageant sans doute une suite
Mauvaise ces instants sereins
Qui m’ont conduit et t’ont conduite,
Mlancoliques plerins,
Jusqu’ cette heure dont la fuite
Tournoie au son des tambourins.
MANDOLINE
Les donneurs de srnades
Et les belles couteuses
changent des propos fades
Sous les ramures chanteuses.
C’est Tircis et c’est Aminte,
Et c’est l’ternel Clitandre,
Et c’est Damis qui pour mainte
Cruelle fait maint vers tendre.
Leurs courtes vestes de soie,
Leurs longues robes queues,
Leur lgance, leur joie
Et leurs molles ombres bleues,
Tourbillonnent dans l’extase
D’une lune rose et grise,
Et la mandoline jase
Parmi les frissons de brise.
A CLYMNE
Mystiques barcarolles,
Romances sans paroles,
Chre, puisque tes yeux,
Couleur des cieux,
Puisque ta voix, trange
Vision qui drange
Et trouble l’horizon
De ma raison,
Puisque l’arme insigne
De ta pleur de cygne
Et puisque la candeur
De ton odeur,
Ah! puisque tout ton tre,
Musique qui pntre,
Nimbes d’anges dfunts,
Tons et parfums.
A sur d’almes cadences
En ses correspondances,
Induit mon coeur subtil,
Ainsi soit-il!
LETTRE
Eloign de vos yeux, Madame, par des soins
Imprieux (j’en prends tous les dieux tmoins),
Je languis et je meurs, comme c’est ma coutume
En pareil cas, et vais, le coeur plein d’amertume,
A travers des soucis o votre ombre me suit,
Le jour dans mes penses, dans mes rves la nuit.
Et la nuit et le jour adorable, Madame!
Si bien qu’enfin, mon corps faisant place mon me,
Je deviendrai fantme mon tour aussi, moi,
Et qu’alors, et parmi le lamentable moi
Des enlacements vains et des dsirs sans nombre,
Mon ombre se fondra jamais en notre ombre.
En attendant, je suis, trs chre, ton valet.
Tout se comporte-t-il l-bas comme il te plat,
Ta perruche, ton chat, ton chien? La compagnie
Est-elle toujours belle, et cette Silvanie
Dont j’eusse aim l’oeil noir si le tien n’tait bleu,
Et qui parfois me fit des signes, palsambleu!
Te sert-elle toujours de douce confidente?
Or, Madame, un projet impatient me hante
De conqurir le monde et tous ses trsors pour
Mettre vos pieds ce gage—indigne—d’un amour
gal toutes les flammes les plus clbres
Qui des grands coeurs aient fait resplendir les tnbres.
Cloptre fut moins aime, oui, sur ma foi!
Par Marc-Antoine et par Csar que vous par moi,
N’en doutez pas, Madame, et je saurai combattre
Comme Csar pour un sourire, Cloptre,
Et comme Antoine fuir au seul prix d’un baiser.
Sur ce, trs chre, adieu. Car voil trop causer
Et le temps que l’on perd lire une missive
N’aura jamais valu la peine qu’on l’crive.
LES INDOLENTS
Bah! malgr les destins jaloux,
Mourons ensemble, voulez-vous?
—La proposition est rare.
—Le rare est le bon. Donc mourons
Comme dans les Dcamrons.
—Hi! hi! hi! quel amant bizarre!
—Bizarre, je ne sais. Amant
Irrprochable, assurment.
Si vous voulez, mourons ensemble?
—Monsieur, vous raillez mieux encor
Que vous n’aimez, et parlez d’or,
Mais taisons-nous, si bon vous semble?
Si bien que ce soir-l Tircis
Et Dorimne, deux assis
Non loin de deux silvains hilares,
Eurent l’inexpiable tort
D’ajourner une exquise mort.
Hi! hi! hi! les amants bizarres!
COLOMBINE
Landre le sot,
Pierrot qui d’un saut
De puce
Franchit le buisson,
Cassandre sous son
Capuce,
Arlequin aussi,
Cet aigrefin si
Fantasque
Aux costumes fous,
Ses yeux luisants sous
Son masque,
—Do, mi, sol, mi, fa,—
Tout ce monde va,
Rit, chante
Et danse devant
Une belle enfant
Mchante
Dont les yeux pervers
Comme les yeux verts
Des chattes
Gardent ses appas
Et disent: ‘A bas
Les pattes!’
—Eux ils vont toujours!
Fatidique cours
Des astres,
Oh! dis-moi vers quels
Mornes ou cruels
Dsastres
L’implacable enfant,
Preste et relevant
Ses jupes,
La rose au chapeau,
Conduit son troupeau
De dupes?
L’AMOUR PAR TERRE
Le vent de l’autre nuit a jet bas l’Amour
Qui, dans le coin le plus mystrieux du parc,
Souriait en bandant malignement son arc,
Et dont l’aspect nous fit tant songer tout un jour!
Le vent de l’autre nuit l’a jet bas! Le marbre
Au souffle du matin tournoie, pars. C’est triste
De voir le pidestal, o le nom de l’artiste
Se lit pniblement parmi l’ombre d’un arbre.
Oh! c’est triste de voir debout le pidestal
Tout seul! et des pensers mlancoliques vont
Et viennent dans mon rve o le chagrin profond
voque un avenir solitaire et fatal.
Oh! c’est triste!—Et toi-mme, est-ce pas? es touche
D’un si dolent tableau, bien que ton oeil frivole
S’amuse au papillon de pourpre et d’or qui vole
Au-dessus des dbris dont l’alle est jonche.
EN SOURDINE
Calmes dans le demi-jour
Que les branches hautes font,
Pntrons bien notre amour
De ce silence profond.
Fondons nos mes, nos coeurs
Et nos sens extasis,
Parmi les vagues langueurs
Des pins et des arbousiers.
Ferme tes yeux demi,
Croise tes bras sur ton sein,
Et de ton coeur endormi
Chasse jamais tout dessein.
Laissons-nous persuader
Au souffle berceur et doux
Qui vient tes pieds rider
Les ondes de gazon roux.
Et quand, solennel, le soir
Des chnes noirs tombera,
Voix de notre dsespoir,
Le rossignol chantera.
COLLOQUE SENTIMENTAL
Dans le vieux parc solitaire et glac
Deux formes ont tout l’heure pass.
Leurs yeux sont morts et leurs lvres sont molles,
Et l’on entend peine leurs paroles.
Dans le vieux parc solitaire et glac
Deux spectres ont voqu le pass.
—Te souvient-il de notre extase ancienne?
—Pourquoi voulez-vous donc qu’il m’en souvienne?
—Ton coeur bat-il toujours mon seul nom?
Toujours vois-tu mon me en rve?—Non.
—Ah! les beaux jours de bonheur indicible
O nous joignions nos bouches!—C’est possible.
Qu’il tait bleu, le ciel, et grand l’espoir!
—L’espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir.
Tels ils marchaient dans les avoines folles,
Et la nuit seule entendit leurs paroles.
LA BONNE CHANSON
I
Le soleil du matin doucement chauffe et dore.
Les seigles et les bls tout humides encore,
Et l’azur a gard sa fracheur de la nuit.
L’on sort sans autre but que de sortir, on suit,
Le long de la rivire aux vagues herbes jaunes,
Un chemin de gazon que bordent de vieux aunes.
L’air est vif. Par moments un oiseau vole avec
Quelque fruit de la haie ou quelque paille au bec,
Et son reflet dans l’eau survit son passage.
C’est tout.
Mais le songeur aime ce paysage
Dont la claire douceur a soudain caress
Son rve de bonheur adorable, et berc
Le souvenir charmant de cette jeune fille,
Blanche apparition qui chante et qui scintille,
Dont rve le pote et que l’homme chrit,
voquant en ses voeux dont peut-tre on sourit
La Compagne qu’enfin il a trouve, et l’me
Que son me depuis toujours pleure et rclame.
II
Toute grce et toutes nuances
Dans l’clat doux de ses seize ans,
Elle a la candeur des enfances
Et les manges innocents.
Ses yeux qui sont les yeux d’un ange,
Savent pourtant, sans y penser,
veiller le dsir trange
D’un immatriel baiser.
Et sa main, ce point petite
Qu’un oiseau-mouche n’y tiendrait,
Captive, sans espoir de fuite,
Le coeur pris par elle en secret.
L’intelligence vient chez elle
En aide l’me noble, elle est
Pure autant que spirituelle:
Ce qu’elle a dit, il le fallait!
Et si la sottise l’amuse
Et la fait rire sans piti,
Elle serait, tant la muse,
Clmente jusqu’ l’amiti.
Jusqu’ l’amour—qui sait? peut-tre,
A l’gard d’un pote pris
Qui mendierait sous sa fentre,
L’audacieux! un digne prix
De sa chanson bonne ou mauvaise!
Mais tmoignant sincrement,
Sans fausse note, et sans fadaise,
Du doux mal qu’on souffre en aimant.
III
En robe grise et verte avec des ruches,
Un jour de juin que j’tais soucieux,
Elle apparut souriante mes yeux
Qui l’admiraient sans redouter d’embches
Elle alla, vint, revint, s’assit, parla,
Lgre et grave, ironique, attendrie:
Et je sentais en mon me assombrie
Comme un joyeux reflet de tout cela,
Sa voix, tant de la musique fine,
Accompagnait dlicieusement
L’esprit sans fiel de son babil charmant
O la gat d’un coeur bon se devine.
Aussi soudain fus-je, aprs le semblant
D’une rvolte aussitt touffe,
Au plein pouvoir de la petite Fe
Que depuis lors je supplie en tremblant.
IV
Puisque l’aube grandit, puisque voici l’aurore,
Puisque, aprs m’avoir fui longtemps, l’espoir veut bien
Revoler devers moi qui l’appelle et l’implore,
Puisque tout ce bonheur veut bien tre le mien,
C’en est fait prsent des funestes penses,
C’en est fait des mauvais rves, ah! c’en est fait
Surtout de l’ironie et des lvres pinces
Et des mots o l’esprit sans l’me triomphait.
Arrire aussi les poings crisps et la colre
A propos des mchants et des sots rencontrs,
Arrire la rancune abominable! arrire
L’oubli qu’on cherche en des breuvages excrs!
Car je veux, maintenant qu’un tre de lumire
A dans ma nuit profonde mis cette clart
D’une amour la fois immortelle et premire,
De par la grce, le sourire et la bont,
Je veux, guid par vous, beaux yeux aux flammes douces,
Par toi conduit, main o tremblera ma main,
Marcher droit, que ce soit par des sentiers de mousses
Ou que rocs et cailloux encombrent le chemin,
Oui, je veux marcher droit et calme dans la Vie,
Vers le but o le sort dirigera mes pas,
Sans violence, sans remords et sans envie.
Ce sera le devoir heureux aux gais combats.
Et comme, pour bercer les lenteurs de la route,
Je chanterai des airs ingnus, je me dis
Qu’elle m’coutera sans dplaisir sans doute,
Et vraiment je ne veux pas d’autre Paradis.
V
Avant que tu ne t’en ailles,
Ple toile du matin,
—Mille cailles
Chantent, chantent dans le thym.—
Tourne devers le pote,
Dont les yeux sont pleins d’amour,
—L’alouette
Monte au ciel avec le jour.—
Tourne ton regard que noie
L’aurore dans son azur,
—Quelle joie
Parmi les champs de bl mr!—
Puis fais luire ma pense
L-bas,—bien loin, oh! bien loin!
—La rose
Gament brille sur le foin.—
Dans le doux rve o s’agite
Ma vie endormie encor…
—Vite, vite,
Car voici le soleil d’or.—
VI
La lune blanche
Luit dans les bois,
De chaque branche
Part une voix
Sous la rame…
O bien-aime.
L’tang reflte,
Profond miroir,
La silhouette
Du saule noir
O le vent pleure…
Rvons, c’est l’heure.
Un vaste et tendre
Apaisement
Semble descendre
Du firmament
Que l’astre irise…
C’est l’heure exquise.
VII
Le paysage dans le cadre des portires
Court furieusement, et des plaines entires
Avec de l’eau, des bls, des arbres et du ciel
Vont s’engouffrant parmi le tourbillon cruel
O tombent les poteaux minces du tlgraphe
Dont les fils ont l’allure trange d’un paraphe.
Une odeur de charbon qui brle et d’eau qui bout,
Tout le bruit que feraient mille chanes au bout
Desquelles hurleraient mille gants qu’on fouette,
Et tout coup des cris prolongs de chouette.—
—Que me fait tout cela, puisque j’ai dans les yeux
La blanche vision qui fait mon coeur joyeux,
Puisque la douce voix pour moi murmure encore,
Puisque le Nom si beau, si noble et si sonore
Se mle, pur pivot de tout ce tournoiement,
Au rythme du wagon brutal, suavement.
VIII
Une Sainte en son aurole,
Une Chtelaine en sa tour.
Tout ce que contient la parole
Humaine de grce et d’amour,
La note d’or que fait entendre
Un cor dans le lointain des bois,
Marie la fiert tendre
Des nobles Dames d’autrefois!
Avec cela le charme insigne
D’un frais sourire triomphant
clos dans des candeurs de cygne
Et des rougeurs de femme-enfant,
Des aspects nacrs, blancs et roses,
Un doux accord patricien.
Je vois, j’entends toutes ces choses
Dans son nom Carlovingien.
IX
Son bras droit, dans un geste aimable de douceur,
Repose autour du cou de la petite soeur,
Et son bras gauche suit le rythme de la jupe.
A cour sr une ide agrable l’occupe,
Car ses yeux si francs, car sa bouche qui sourit,
Tmoignent d’une joie intime avec esprit.
Oh! sa pense exquise et fine, quelle est-elle?
Toute mignonne, tout aimable, et toute belle,
Pour ce portrait, son got infaillible a choisi
La pose la plus simple et la meilleure aussi:
Debout, le regard droit, en cheveux, et sa robe
Est longue juste assez pour qu’elle ne drobe
Qu’ moiti sous ses plis jaloux le bout charmant
D’un pied malicieux imperceptiblement.
X
Quinze longs jours encore et plus de six semaines
Dj! Certes, parmi les angoisses humaines
La plus dolente angoisse est celle d’tre loin.
On s’crit, on se dit comme on s’aime, on a soin
D’voquer chaque jour la voix, les yeux, le geste
De l’tre en qui l’on mit son bonheur, et l’on reste
Des heures causer tout seul avec l’absent.
Mais tout ce que l’on pense et tout ce que l’on sent,
Et tout ce dont on parle avec l’absent, persiste
A demeurer blafard et fidlement triste.
Oh! l’absence! le moins clment de tous les maux!
Se consoler avec des phrases et des mots,
Puiser dans l’infini morose des penses
De quoi vous rafrachir, esprances lasses,
Et n’en rien remonter que de fade et d’amer!
Puis voici, pntrant et froid comme le fer,
Plus rapide que les oiseaux et que les balles
Et que le vent du sud en mer et ses rafales
Et portant sur sa pointe aigu un fin poison,
Voici venir, pareil aux flches, le soupon
Dcoch par le Doute impur et lamentable.
Est-ce bien vrai? tandis qu’accoud sur ma table
Je lis sa lettre avec des larmes dans les yeux,
Sa lettre, o s’tale un aveu dlicieux,
N’est-elle pas alors distraite en d’autres choses?
Qui sait? Pendant qu’ici, pour moi, lents et moroses
Coulent les jours, ainsi qu’un fleuve au bord fltri,
Peut-tre que sa lvre innocente a souri?
Peut-tre qu’elle est trs joyeuse et qu’elle oublie?
Et je relis sa lettre avec mlancolie.
XI
La dure preuve va finir:
Mon coeur, souris l’avenir.
Ils sont passs les jours d’alarmes
O j’tais triste jusqu’aux larmes.
Ne suppute plus les instants,
Mon me, encore un peu de temps.
J’ai lu les paroles amres
Et banni les sombres chimres.
Mes yeux exils de la voir
De par un douloureux devoir,
Mon oreille avide d’entendre
Les notes d’or de sa voix tendre,
Tout mon tre et tout mon amour
Acclament le bienheureux jour
O, seul rve et seule pense,
Me reviendra la fiance!
XII
Va, chanson, tire-d’aile
Au-devant d’elle, et dis-lui
Bien que dans mon coeur fidle
Un rayon joyeux a lui,
Dissipant, lumire sainte,
Ces tnbres de l’amour:
Mfiance, doute, crainte,
Et que voici le grand jour!
Longtemps craintive et muette,
Entendez-vous? la gat
Comme une vive alouette
Dans le ciel clair a chant.
Va donc, chanson ingnue,
Et que, sans nul regret vain,
Elle soit la bienvenue
Celle qui revient enfin.
XIII
Hier, on parlait de choses et d’autres,
Et mes yeux allaient recherchant les vtres,
Et votre regard recherchait le mien
Tandis que courait toujours l’entretien.
Sous le sens banal des phrases peses
Mon amour errait aprs vos penses,
Et quand vous parliez, dessein distrait
Je prtais l’oreille votre secret:
Car la voix, ainsi que les yeux de Celle
Qui vous fait joyeux et triste dcle,
Malgr tout effort morose et rieur,
Et met en plein jour l’tre intrieur.
Or, hier, je suis parti plein d’ivresse:
Est-ce un espoir vain que mon coeur carresse,
Un vain espoir, faux et doux compagnon?
Oh! non! n’est-ce pas? n’est-ce pas que non?
XIV
Le foyer, la lueur troite de la lampe,
La rverie avec le doigt contre la tempe
Et les yeux se perdant parmi les yeux aims,
L’heure du th fumant et des livres ferms,
La douceur de sentir la fin de la soire,
La fatigue charmante et l’attente adore
De l’ombre nuptiale et de la douce nuit,
Oh! tout cela, mon rve attendri le poursuit
Sans relche, travers toutes remises vaines,
Impatient des mois, furieux des semaines!
XV
J’ai presque peur, en vrit,
Tant je sens ma vie enlace
A la radieuse pense
Qui m’a pris l’me l’autre t,
Tant votre image, jamais chre,
Habite en coeur tout vous,
Mon coeur uniquement jaloux
De vous aimer et de vous plaire,
Et je tremble, pardonnez-moi
D’aussi franchement vous le dire,
A penser qu’un mot, un sourire
De vous est dsormais ma loi,
Et qu’il vous suffirait d’un geste,
D’une parole ou d’un clin d’oeil,
Pour mettre tout mon tre en deuil
De son illusion cleste.
Mais plutt je ne veux vous voir,
L’avenir dt-il m’tre sombre
Et fcond en peines sans nombre,
Qu’ travers un immense espoir,
Plong dans ce bonheur suprme
De me dire encore et toujours,
En dpit des mornes retours,
Que je vous aime, que je t’aime!
XVI
Le bruit des cabarets, la fange des trottoirs,
Les platanes dchus s’effeuillant dans l’air noir,
L’omnibus, ouragan de ferraille et de boues,
Qui grince, mal assis entre ses quatres roues.
Et roule ses yeux verts et rouges lentement,
Les ouvriers allant au club, tout en fumant
Leur brle-gueule au nez des agents de police,
Toits qui dgouttent, murs suintants, pav qui glisse,
Bitume dfonc, ruisseaux comblant l’gout,
Voil ma route—avec le paradis au bout.
XVII
N’est-ce pas? en dpit des sots et des mchants
Qui ne manqueront pas d’envier notre joie,
Nous serons fiers parfois et toujours indulgents
N’est-ce pas? nous irons, gais et lents, dans la voie
Modeste que nous montre en souriant l’Espoir,
Peu soucieux qu’on nous ignore ou qu’on nous voie.
Isols dans l’amour ainsi qu’en un bois noir,
Nos deux coeurs, exhalant leur tendresse paisible,
Seront deux rossignols qui chantent dans le soir.
Quant au Monde, qu’il soit envers nous irascible
Ou doux, que nous feront ses gestes? Il peut bien
S’il veut, nous caresser ou nous prendre pour cible.
Unis par le plus fort et le plus cher lien,
Et d’ailleurs, possdant l’armure adamantine,
Nous sourirons tous et n’aurons peur de rien.
Sans nous proccuper de ce que nous destine
Le Sort, nous marcherons pourtant du mme pas,
Et la main dans la main, avec l’me enfantine
De ceux qui s’aiment sans mlange, n’est-ce pas?
XVIII
Nous sommes en des temps infmes
O le mariage des mes
Doit sceller l’union des coeurs,
A cette heure d’affreux orages,
Ce n’est pas trop de deux courages
Pour vivre sous de tels vainqueurs.
En face de ce que l’on ose
Il nous sirait, sur toute chose,
De nous dresser, couple ravi
Dans l’extase austre du juste
Et proclamant, d’un geste auguste
Notre amour fier, comme un dfi!
Mais quel besoin de te le dire?
Toi la bont, toi le sourire,
N’es-tu pas le conseil aussi,
Le bon conseil loyal et brave,
Enfant rieuse au penser grave,
A qui tout mon coeur dit: merci!
XIX
Donc, ce sera par un clair jour d’t:
Le grand soleil, complice de ma joie,
Fera, parmi le satin et la soie,
Plus belle encore votre chre beaut,
Le ciel tout bleu, comme une haute lente,
Frissonnera somptueux longs plis
Sur nos deux fronts heureux qu’auront plis
L’motion du bonheur et l’attente,
Et quand le soir viendra, l’air sera doux
Qui se jouera, caressant, dans vos voiles,
Et les regards paisibles des toiles
Bienveillamment souriront aux poux.
XX
J’allais par des chemins perfides,
Douloureusement incertain.
Vos chres mains furent mes guides.
Si ple l’horizon lointain
Luisait un faible espoir d’aurore,
Votre regard fut le matin.
Nul bruit, sinon son pas sonore,
N’encourageait le voyageur.
Votre voix me dit: ‘Marche encore!’
Mon coeur craintif, mon sombre coeur
Pleurait, seul, sur la triste voie,
L’amour, dlicieux vainqueur,
Nous a runis dans la joie.
XXI
L’hiver a cess: la lumire est tide
Et danse, du sol au firmament clair.
Il faut que le coeur le plus triste cde
A l’immense joie parse dans l’air.
Mme ce Paris maussade et malade
Semble faire accueil aux jeunes soleils
Et, comme pour une immense accolade,
Tend les mille bras de ses toits vermeils.
J’ai depuis un an le printemps dans l’me
Et le vert retour du doux floral,
Ainsi qu’une flamme entoure une flamme,
Met de l’idal sur mon idal.
Le ciel bleu prolonge, exhausse et couronne
L’immuable azur o rit mon amour.
La saison est belle et ma part est bonne,
Et tous mes espoirs ont enfin leur tour.
Que vienne l’t! que viennent encore
L’automne et l’hiver! Et chaque saison
Me sera charmante, Toi que dcore
Cette fantaisie et cette raison!
ROMANCES SANS PAROLES
I
Le vent dans la plaine
Suspend son haleine.
(FAVART.)
C’est l’extase langoureuse,
C’est la fatigue amoureuse,
C’est tous les frissons des bois
Parmi l’treinte des brises,
C’est, vers les ramures grises,
Le choeur des petites voix.
O le frle et frais murmure!
Cela gazouille et susure,
Cela ressemble au cri doux
Que l’herbe agite expire…
Tu dirais, sous l’eau qui vire,
Le roulis sourd des cailloux.
Cette me qui se lamente
En cette plainte dormante,
C’est la ntre, n’est-ce pas?
La mienne, dis, et la tienne,
Dont s’exhale l’humble antienne
Par ce tide soir, tout bas?
II
Je devine, travers un murmure,
Le contour subtil des voix anciennes
Et dans les lueurs musiciennes,
Amour ple, une aurore future!
Et mon me et mon coeur en dlires
Ne sont plus qu’une espce d’oeil double
O tremblote travers un jour trouble
L’ariette, hlas! de toutes lyres!
O mourir de cette mort seulette
Que s’en vont, cher amour qui t’peures
Balanant jeunes et vieilles heures!
O mourir de cette escarpolette!
III
Il pleut doucement sur la ville.
(ARTHUR RAIMBAUD.)
Il pleure dans mon coeur
Comme il pleut sur la ville,
Quelle est cette langueur
Qui pntre mon coeur?
O bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits!
Pour un coeur qui s’ennuie,
O le chant de la pluie!
Il pleure sans raison
Dans ce coeur qui s’coeure.
Quoi! nulle trahison?
Ce deuil est sans raison.
C’est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi,
Sans amour et sans haine,
Mon coeur a tant de peine!
IV
Il faut, voyez-vous, nous pardonner les choses.
De cette faon nous serons bien heureuses,
Et si notre vie a des instants moroses,
Du moins nous serons, n’est-ce pas? deux pleureuses.
O que nous mlions, mes soeurs que nous sommes,
A nos voeux confus la douceur purile
De cheminer loin des femmes et des hommes,
Dans le frais oubli de ce qui nous exile.
Soyons deux enfants, soyons deux jeunes filles
prises de rien et de tout tonnes,
Qui s’en vont plir sous les chastes charmilles
Sans mme savoir qu’elles sont pardonnes.
V
Son joyeux, importun d’un clavecin sonore.
(PTRUS BOREL.)
Le piano que baise une main frle
Luit dans le soir rose et gris vaguement,
Tandis qu’avec un trs lger bruit d’aile
Un air bien vieux, bien faible et bien charmant,
Rde discret, peur quasiment,
Par le boudoir longtemps parfum d’Elle.
Qu’est-ce que c’est que ce berceau soudain
Qui lentement dorlotte mon pauvre tre?
Que voudrais-tu de moi, doux chant badin?
Qu’as-tu voulu, fin refrain incertain
Qui va tantt mourir vers la fentre
Ouverte un peu sur le petit jardin?
VI
C’est le chien de Jean de Nivelle
Qui mord sous l’oeil mme du guet
Le chat de la mre Michel,
Franois-les-bas-bleus s’en gaie.
La lune l’crivain public
Dispense sa lumire obscure
O Mdor avec Anglique
Verdissent sur le pauvre mur.
Et voici venir La Rame
Sacrant en bon soldat du Roi.
Sous son habit blanc mal fam
Son coeur ne se tient pas de joie!
Car la boulangre…—Elle?—Oui dame!
Bernant Lustucru, son vieil homme,
A tantt couronn sa flamme…
Enfants, Dominus vobiscum!
Place! en sa longue robe bleue
Toute en salin qui fait frou-frou,
C’est une impure, palsembleu!
Dans sa chaise qu’il faut qu’on loue,
Ft-on philosophe ou grigou,
Car tant d’or s’y relve en bosse,
Que ce luxe insolent bafoue
Tout le papier de monsieur Loss!
Arrire, robin crott! place,
Petit courtaud, petit abb,
Petit pote jamais las
De la rime non attrape!
Voici que la nuit vraie arrive…
Cependant jamais fatigu
D’tre inattentif et naf?
Franois-les-bas-bleus s’en gaie.
VII
O triste, triste tait mon me
A cause, cause d’une femme.
Je ne me suis pas consol
Bien que mon coeur s’en soit all,
Bien que mon coeur, bien que mon me
Eussent fui loin de cette femme.
Je ne me suis pas consol
Bien que mon coeur s’en soit all.
Et mon coeur, mon coeur trop sensible
Dit mon me: Est-il possible,
Est-il possible,—le ft-il,—
Ce fier exil, ce triste exil?
Mon me dit mon coeur: Sais-je
Moi-mme, que nous veut ce pige
D’tre prsents bien qu’exils,
Encore que loin en alls?
VIII
Dans l’interminable
Ennui de la plaine,
La neige incertaine
Luit comme du sable.
Le ciel est de cuivre
Sans lueur aucune,
On croirait voir vivre
Et mourir la lune.
Comme des nues
Flottent gris les chnes
Des forts prochaines
Parmi les bues.
Le ciel est de cuivre
Sans lueur aucune.
On croirait voir vivre
Et mourir la lune.
Corneille poussive
Et vous les loups maigres,
Par ces bises aigres
Quoi donc vous arrive?
Dans l’interminable
Ennui de la plaine,
La neige incertaine
Luit comme du sable.
IX
Le rossignol, qui du haut d’une
branche se regarde dedans, croit
tre tomb dans la rivire. Il est
au sommet d’un chne et toutefois
il a peur de se noyer.
(CYRANO DE BERGEBAC.)
L’ombre des arbres dans la rivire embrume
Meurt comme de la fume,
Tandis qu’en l’air, parmi les ramures relles,
Se plaignent les tourterelles.
Combien, voyageur, ce paysage blme
Te mira blme toi-mme,
Et que tristes pleuraient dans les hautes feuilles
Tes esprances noyes?
Mai, juin 1872.
PAYSAGES BELGES
‘Conquestes du Roy.’
(Vieilles estampes.)
WALCOURT
Briques et tuiles,
O les charmants
Petits asiles
Pour les amants!
Houblons et vignes,
Feuilles et fleurs,
Tentes insignes
Des francs buveurs!
Guinguettes claires,
Bires, clameurs,
Servantes chres
A tous fumeurs!
Gares prochaines,
Gais chemins grands…
Quelles aubaines,
Bons juifs errants!
Juillet 1873.
CHARLEROI
Dans l’herbe noire
Les Kobolds vont.
Le vent profond
Pleure, on veut croire.
Quoi donc se sent?
L’avoine siffle.
Un buisson giffle
L’oeil au passant.
Plutt des bouges
Que des maisons.
Quels horizons
De forges rouges!
On sent donc quoi?
Des gares tonnent,
Les yeux s’tonnent,
O Charleroi?
Parfums sinistres?
Qu’est-ce que c’est?
Quoi bruissait
Comme des sistres?
Sites brutaux!
Oh! votre haleine,
Sueur humaine,
Cris des mtaux!
Dans l’herbe noire
Les Kobolds vont.
Le vent profond
Pleure, on veut croire.
BRUXELLE
SIMPLES FRESQUES
I
La fuite est verdtre et rose
Des collines et des rampes,
Dans un demi-jour de lampes
Qui vient brouiller toute chose.
L’or sur les humbles abmes,
Tout doucement s’ensanglante,
Des petits arbres sans cimes,
O quelque oiseau faible chante.
Triste peine tant s’effacent
Ces apparences d’automne.
Toutes mes langueurs rvassent,
Que berce l’air monotone.
II
L’alle est sans fin
Sous le ciel, divin
D’tre ple ainsi!
Sais-tu qu’on serait
Bien sous le secret
De ces arbres-ci?
Des messieurs bien mis,
Sans nul doute amis
Des Royers-Collards,
Vont vers le chteau.
J’estimerais beau
D’tre ces vieillards.
Le chteau, tout blanc
Avec, son flanc,
Le soleil couch.
Les champs l’entour…
Oh! que notre amour
N’est-il l nich!
Estaminet du Jeune Renard, aot 1872.
BRUXELLES
CHEVAUX DE BOIS
Par Saint-Gille,
Viens-nous-en,
Mon agile
Alezan.
(V. HUGO.)
Tournez, tournez, bons chevaux de bois,
Tournez cent tours, tournez mille tours,
Tournez souvent et tournez toujours,
Tournez, tournez au son des hautbois.
Le gros soldat, la plus grosse bonne
Sont sur vos dos comme dans leur chambre,
Car, en ce jour, au bois de la Cambre,
Les matres sont tous deux en personne.
Tournez, tournez, chevaux de leur coeur,
Tandis qu’autour de tous vos tournois
Clignotte l’oeil du filou sournois,
Tournez au son du piston vainqueur.
C’est ravissant comme a vous sole
D’aller ainsi dans ce cirque bte!
Bien dans le ventre et mal dans la tte,
Du mal en masse et du bien en foule.
Tournez, tournez, sans qu’il soit besoin
D’user jamais de nuls perons,
Pour commander vos galops ronds,
Tournez, tournez, sans espoir de foin.
Et dpchez, chevaux de leur me,
Dj, voici que la nuit qui tombe
Va runir pigeon et colombe,
Loin de la foire et loin de madame.
Tournez, tournez! le ciel en velours
D’astres en or se vt lentement.
Voici partir l’amante et l’amant.
Tournez au son joyeux des tambours.
Champ de foire de Saint-Gilles, aot 1872.
MALINES
Vers les prs le vent cherche noise
Aux girouettes, dtail fin
Du chteau de quelque chevin,
Rouge de brique et bleu d’ardoise,
Vers les prs clairs, les prs sans fin…
Comme les arbres des feries
Des frnes, vagues frondaisons,
chelonnent mille horizons
A ce Sahara de prairies,
Trfle, luzerne et blancs gazons,
Les wagons filent en silence
Parmi ces sites apaiss.
Dormez, les vaches! Reposez,
Doux taureaux de la plaine immense,
Sous vos cieux peine iriss!
Le train glisse sans un murmure,
Chaque wagon est un salon
O l’on cause bas et d’o l’on
Aime loisir cette nature
Faite souhait pour Fnelon.
Aot, 1872.
BIRDS IN THE NIGHT
Vous n’avez pas eu toute patience,
Cela se comprend par malheur, de reste.
Vous tes si jeune! et l’insouciance,
C’est le lot amer de l’ge cleste!
Vous n’avez pas eu toute la douceur,
Cela par malheur d’ailleurs se comprend,
Vous tes si jeune, ma froide soeur,
Que votre coeur doit tre indiffrent!
Aussi me voici plein de pardons chastes,
Non certes! joyeux, mais trs calme, en somme,
Bien que je dplore, en ces mois nfastes,
D’tre, grce vous, le moins heureux homme.
***
Et vous voyez bien que j’avais raison
Quand je vous disais, dans mes moments noirs,
Que vos yeux, foyer de mes vieux espoirs,
Ne couvaient plus rien que la trahison.
Vous juriez alors que c’tait mensonge
Et votre regard qui mentait lui-mme
Flambait comme un feu mourant qu’on prolonge,
Et de votre voix vous disiez: ‘Je t’aime!’
Hlas! on se prend toujours au dsir
Qu’on a d’tre heureux malgr la saison…
Mais ce fut un jour plein d’amer plaisir,
Quand je m’aperus que j’avais raison!
***
Aussi bien pourquoi me mettrai-je geindre?
Vous ne m’aimez pas, l’affaire est conclue,
Et, ne voulant pas qu’on ose se plaindre,
Je souffrirai d’une me rsolue.
Oui, je souffrirai, car je vous aimais!
Mais je souffrirai comme un bon soldat
Bless, qui s’en va dormir jamais,
Plein d’amour pour quelque pays ingrat.
Vous qui ftes ma Belle, ma Chrie,
Encor que de vous vienne ma souffrance,
N’tes-vous donc pas toujours ma Patrie,
Aussi jeune, aussi folle que la France?
***
Or, je ne veux pas,—le puis-je d’abord?
Plonger dans ceci mes regards mouills.
Pourtant mon amour que vous croyez mort
A peut-tre enfin les yeux dessills.
Mon amour qui n’est que ressouvenance,
Quoique sous vos coups il saigne et qu’il pleure
Encore et qu’il doive, ce que je pense,
Souffrir longtemps jusqu’ ce qu’il en meure,
Peut-tre a raison de croire entrevoir
En vous un remords qui n’est pas banal.
Et d’entendre dire, en son dsespoir,
A votre mmoire: ah! fi que c’est mal!
***
Je vous vois encor. J’entr’ouvris la porte.
Vous tiez au lit comme fatigue.
Mais, corps lger que l’amour emporte,
Vous bondtes nue, plore et gaie.
O quels baisers, quels enlacements fous!
J’en riais moi-mme travers mes pleurs.
Certes, ces instants seront entre tous
Mes plus tristes, mais aussi mes meilleurs.
Je ne veux revoir de votre sourire
Et de vos bons yeux en cette occurrence
Et de vous, enfin, qu’il faudrait maudire,
Et du pige exquis, rien que l’apparence
***
Je vous vois encor! En robe d’t
Blanche et jaune avec des fleurs de rideaux.
Mais vous n’aviez plus l’humide gat
Du plus dlirant de tous nos tantts,
La petite pouse et la fille ane
tait reparue avec la toilette,
Et c’tait dj notre destine
Qui me regardait sous votre voilette.
Soyez pardonne! Et c’est pour cela
Que je garde, hlas! avec quelque orgueil,
En mon souvenir qui vous cajola,
L’clair de ct que coulait votre oeil.
***
Par instants, je suis le pauvre navire
Qui court dmt parmi la tempte,
Et ne voyant pas Notre-Dame luire
Pour l’engouffrement en priant s’apprte.
Par instants, je meurs la mort du pcheur
Qui se sait damn s’il n’est confess,
Et, perdant l’espoir de nul confesseur,
Se tord dans l’Enfer qu’il a devanc.
O mais! par instants, j’ai l’extase rouge
Du premier chrtien, sous la dent rapace,
Qui rit Jsus tmoin, sans que bouge
Un poil de sa chair, un nerf de sa face!
Bruxelles-Londres.—Septembre-octobre 1872.
AQUARELLES
GREEN
Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches,
Et puis voici mon coeur, qui ne bat que pour vous.
Ne le dchirez pas avec vos deux mains blanches
Et qu’ vos yeux si beaux l’humble prsent soit doux.
J’arrive tout couvert encore de rose
Que le vent du matin vient glacer mon front.
Souffrez que ma fatigue, vos pieds repose,
Rve des chers instants qui la dlasseront.
Sur votre jeune sein laissez rouler ma tte
Toute sonore encore de vos derniers baisers,
Laissez l s’apaiser de la bonne tempte,
Et que je dorme un peu puisque vous reposez.
SPLEEN
Les roses taient toutes rouges,
Et les lierres taient tout noirs.
Chre, pour peu que tu te bouges,
Renaissent tous mes dsespoirs.
Le ciel tait trop bleu, trop tendre,
La mer trop verte et l’air trop doux.
Je crains toujours,—ce qu’est d’attendre
Quelque fuite atroce de vous.
Du houx la feuille vernie
Et du luisant buis je suis las,
Et de la campagne infinie
Et de tout, fors de vous, hlas!
STREETS
I
Dansons la gigue!
J’aimais surtout ses jolis yeux,
Plus clairs que l’toile des cieux,
J’aimais ses yeux malicieux.
Dansons la gigue!
Elle avait des faons vraiment
De dsoler un pauvre amant,
Que c’en tait vraiment charmant!
Dansons la gigue!
Mais je trouve encor meilleur
Le baiser de sa bouche en fleur,
Depuis qu’elle est morte mon coeur.
Dansons la gigue!
Je me souviens, je me souviens
Des heures et des entretiens,
Et c’est le meilleur de mes biens.
Dansons la gigue!
SOHO.
II
O la rivire dans la rue!
Fantastiquement apparue
Derrire un mur haut de cinq pieds,
Elle roule sans un murmure
Sans onde opaque et pourtant pure,
Par les faubourgs pacifis.
La chausse est trs large, en sorte
Que l’eau jaune comme une morte
Dvale ample et sans nuls espoirs
De rien reflter que la brume,
Mme alors que l’aurore allume
Les cottages jaunes et noirs.
PADDINGTON.
CHILD WIFE
Vous n’avez rien compris ma simplicit,
Rien, ma pauvre enfant!
Et c’est avec un front vent, dpit,
Que vous fuyez devant.
Vos yeux qui ne devaient reflter que douceur,
Pauvre cher bleu miroir,
Ont pris un ton de fiel, lamentable soeur,
Qui nous fait mal voir.
Et vous gesticulez avec vos petit-bras
Comme un hros mchant,
En poussant d’aigres cris poitrinaires, hlas!
Vous qui n’tiez que chant!
Car vous avez eu peur de l’orage et du coeur
Qui grondait et sifflait,
Et vous bltes avec votre mre— douleur!—
Comme un triste agnelet.
Et vous n’avez pas su la lumire et l’honneur
D’un amour brave et fort,
Joyeux dans le malheur, grave dans le bonheur,
Jeune jusqu’ la mort!
A POOR YOUNG SHEPHERD
J’ai peur d’un baiser
Comme d’une abeille.
Je souffre et je veille
Sans me reposer.
J’ai peur d’un baiser!
Pourtant j’aime Kate
Et ses yeux jolis.
Elle est dlicate,
Aux longs traits plis.
Oh! que j’aime Kate!
C’est saint Valentin!
Je dois et je n’ose
Lui dire au matin…
La terrible chose
Que saint Valentin!
Elle m’est promise,
Fort heureusement!
Mais quelle entreprise
Que d’tre un amant
Prs d’une promise!
J’ai peur d’un baiser
Comme d’une abeille.
Je souffre et je veille
Sans me reposer:
J’ai peur d’un baiser!
BEAMS
Elle voulut aller sur les flots de la mer,
Et comme un vent bnin soufflait une embellie,
Nous nous prtmes tous sa belle folie,
Et nous voil marchant par le chemin amer.
Le soleil luisait haut dans le ciel calme et lisse,
Et dans ses cheveux blonds c’taient des rayons d’or,
Si bien que nous suivions son pas plus calme encor
Que le droulement des vagues, dlice!
Des oiseaux blancs volaient alentour mollement.
Et des voiles au loin s’inclinaient toutes blanches.
Parfois de grands varechs filaient en longues branches,
Nos pieds glissaient d’un pur et large mouvement.
Elle se retourna, doucement inquite
De ne nous croire pas pleinement rassurs,
Mais nous voyant joyeux d’tre ses prfrs,
Elle reprit sa route et portait haut sa tte.
Douvres-Ostende, bord de la ‘Comtesse-de-Flandre’.
4 Avril 1873.
SAGESSE
I
I
Bon chevalier masqu qui chevauche en silence,
Le malheur a perc mon vieux coeur de sa lance.
Le sang de mon vieux coeur n’a fait qu’un jet vermeil
Puis s’est vapor sur les fleurs, au soleil.
L’ombre teignit mes yeux, un cri vint ma bouche,
Et mon vieux coeur est mort dans un frisson farouche.
Alors le chevalier Malheur s’est rapproch,
Il a mis pied terre et sa main m’a touch.
Son doigt gant de fer entra dans ma blessure
Tandis qu’il attestait sa loi d’une voix dure.
Et voici qu’au contact glac du doigt de fer
Un coeur me renaissait, tout un coeur pur et fier.
Et voici que, fervent d’une candeur divine,
Tout un coeur jeune et bon battit dans ma poitrine.
Or, je restais tremblant, ivre, incrdule un peu,
Comme un homme qui voit des visions de Dieu.
Mais le bon chevalier, remont sur sa bte,
En s’loignant me fit un signe de la tte
Et me cria (j’entends encore celle voix):
‘Au moins, prudence! Car c’est bon pour une fois.’
II
J’avais pein comme Sisyphe
Et comme Hercule travaill
Contre la chair qui se rebiffe.
J’avais lutt, j’avais bill
Des coups trancher des montagnes,
Et comme Achille ferraill.
Farouche ami qui m’accompagnes,
Tu le sais, courage paen,
Si nous en fmes des campagnes.
Si nous n’avons nglig rien
Dans cette guerre extnuante,
Si nous avons travaill bien!
Le tout en vain: l’pre gante
A mon effort de tout ct
Opposait sa ruse ambiante.
Et toujours un lche abrit
Dans mes conseils qu’il environne
Livrait les cls de la cit.
Que ma chance ft mle ou bonne,
Toujours un parti de mon coeur
Ouvrait sa porte la Gorgone.
Toujours l’ennemi suborneur
Savait envelopper d’un pige
Mme la victoire et l’honneur!
J’tais le vaincu qu’on assige,
Prt vendre son sang bien cher,
Quand, blanche en vtement de neige
Toute belle au front humble et fier,
Une dame vint sur la nue,
Qui d’un signe fit fuir la Chair.
Dans une tempte inconnue
De rage et de cris inhumains,
Et dchirant sa gorge nue,
Le Monstre reprit ses chemins
Par les bois pleins d’amours affreuses,
Et la dame, joignant les mains:
—‘Mon pauvre combattant qui creuses,
Dit-elle, ce dilemme en vain,
Trve aux victoires malheureuses!
‘Il t’arrive un secours divin
Dont je suis sre messagre
Pour ton salut, possible enfin!’
—‘O ma Dame dont la voix chre
Encourage un bless jaloux
De voir finir l’atroce guerre,
‘Vous qui parlez d’un ton si doux
En m’annonant de bonnes choses,
Ma Dame, qui donc tes-vous?’
—‘J’tais ne avant toutes causes
Et je verrai la fin de tous
Les effets, toiles et roses.
‘En mme temps, bonne, sur vous,
Hommes faibles et pauvres femmes,
Je pleure et je vous trouve fous!
‘Je pleure sur vos tristes mes,
J’ai l’amour d’elles, j’ai la peur
D’elles, et de leurs voeux infmes!
‘O ceci n’est pas le bonheur.
Veillez, Quelqu’un l’a dit que j’aime,
Veillez, crainte du Suborneur,
‘Veillez, crainte du Jour suprme!
Qui je suis? me demandais-tu.
Mon nom courbe les anges mme,
‘Je suis le coeur de la vertu,
Je suis l’me de la sagesse,
Mon nom brle l’Enfer ttu,
‘Je suis la douceur qui redresse,
J’aime tous et n’accuse aucun,
Mon nom, seul, se nomme promesse
‘Je suis l’unique hte opportun,
Je parle au Roi le vrai langage
Du matin rose et du soir brun,
‘Je suis la PRIRE, et mon gage
C’est ton vice en droute au loin,
Ma condition: ‘Toi, sois sage.’
—‘Oui, ma Dame, et soyez tmoin!’
III
Qu’en dis-tu, voyageur, des pays et des gares?
Du moins as-tu cueilli l’ennui, puisqu’il est mr,
Toi que voil fumant de maussades cigares,
Noir, projetant une ombre absurde sur le mur?
Tes yeux sont aussi morts depuis les aventures,
Ta grimace est la mme et ton deuil est pareil,
Telle la lune vue travers des mtures,
Telle la vieille mer sous le jeune soleil.
Tel l’ancien cimetire aux tombes toujours neuves!
Mais voyons, et dis-nous les rcits devins,
Ces dsillusions pleurant le long des fleuves,
Ces dgots comme autant de fades nouveau-ns,
Ces femmes! Dis les gaz, et l’horreur identique
Du mal toujours, du laid partout sur les chemins,
Et dis l’Amour et dis encor la Politique
Avec du sang dshonor d’encre leurs mains.
Et puis surtout ne va pas l’oublier toi-mme
Tranassant ta faiblesse et ta simplicit
Partout o l’on bataille et partout o l’on aime,
D’une faon si triste et folle, en vrit!
A-t-on assez puni cette lourde innocence?
Qu’en dis-tu? L’homme est dur, mais la femme? Et tes pleurs,
Qui les a bus? Et quelle me qui les recense
Console ce qu’on peut appeler tes malheurs?
Ah les autres, ah toi! Crdule qui te flatte,
Toi qui rvais (c’tait trop excessif, aussi)
Je ne sais quelle mort lgre et dlicate?
Ah toi, l’espce d’ange avec ce voeu transi!
Mais maintenant les plans, les buts? Es-tu de force,
Ou si d’avoir pleur t’a dtremp le coeur?
L’arbre est tendre s’il faut juger d’aprs l’corce,
Et tes aspects ne sont pas ceux d’un grand vainqueur.
Si gauche encore! avec l’aggravation d’tre
Une sorte prsent d’idyllique engourdi
Qui surveille le ciel bte par la fentre
Ouverte aux yeux matois du dmon de midi.
Si le mme dans cette extrme dcadence!
Enfin!—Mais ta place un tre avec du sens,
Payant les violons voudrait mener la danse,
Au risque d’alarmer quoique peu les passants.
N’as-tu pas, en fouillant les recoins de ton me,
Un beau vice tirer comme un sabre au soleil,
Quelque vice joyeux, effront, qui s’enflamme
Et vibre, et darde rouge au front du ciel vermeil?
Un ou plusieurs? Si oui, tant mieux! Et pars bien vite
En guerre, et bats d’estoc et de taille, sans choix
Surtout, et mets ce masque indolent o s’abrite
La haine inassouvie et repue la fois…
Il faut n’tre pas dupe en ce farceur de monde
O le bonheur n’a rien d’exquis et d’allchant
S’il n’y frtille un peu de pervers et d’immonde,
Et pour n’tre pas dupe il faut tre mchant.
—Sagesse humaine, ah! j’ai les yeux sur d’autres choses,
Et parmi ce pass dont ta voix dcrivait
L’ennui, pour des conseils encore plus moroses,
Je ne me souviens plus que du mal que j’ai fait.
Dans tous les mouvements bizarres de ma vie,
De mes ‘malheurs’, selon le moment et le lieu,
Des autres et de moi, de la route suivie,
Je n’ai rien retenu que la grce de Dieu.
Si je me sens puni, c’est que je le dois tre.
Ni l’homme ni la femme ici ne sont pour rien.
Mais j’ai le ferme espoir d’un jour pouvoir connatre
Le pardon et la paix promis tout Chrtien.
Bien de n’tre pas dupe en ce monde d’une heure,
Mais pour ne l’tre pas durant l’ternit,
Ce qu’il faut tout prix qui rgne et qui demeure,
Ce n’est pas la mchancet, c’est la bont.
IV
Malheureux! Tous les dons, la gloire du baptme,
Ton enfance chrtienne, une mre qui t’aime,
La force et la sant comme le pain et l’eau,
Cet avenir enfin, dcrit dans le tableau
De ce pass plus clair que le jeu des mares,
Tu pilles tout, tu perds en viles simagres
Jusqu’aux derniers pouvoirs de ton esprit, hlas!
La maldiction de n’tre jamais las
Suit tes pas sur le monde o l’horizon t’attire,
L’enfant prodigue avec des gestes de satyre!
Nul avertissement, douloureux ou moqueur,
Ne prvaut sur l’lan funeste de ton coeur.
Tu flnes travers pril et ridicule,
Avec l’irresponsable audace d’un Hercule
Dont les travaux seraient fous, ncessairement.
L’amiti—dame!—a tu son reproche clment,
Et chaste, et sans aucun espoir que le suprme,
Vient prier, comme au lit d’un mourant qui blasphme,
La patrie oublie est dure aux fils affreux,
Et le monde alentour dresse ses buissons creux
O ton dsir mauvais s’puise en flches mortes.
Maintenant il te faut passer devant les portes,
Htant le pas de peur qu’on ne lche le chien,
Et si tu n’entends pas rire, c’est encor bien.
Malheureux, toi Franais, toi Chrtien, quel dommage!
Mais, tu vas la pense obscure de l’image
D’un bonheur qu’il te faut immdiat, tant
Athe (avec la foule!) et jaloux de l’instant,
Tout apptit parmi ces apptits froces,
pris de la fadaise actuelle, mots, noces
Et festins, la ‘Science’, et ‘l’esprit de Paris’,
Tu vas magnifiant ce par quoi tu pris,
Imbcile! et niant le soleil qui t’aveugle!
Tout ce que les temps ont de bte pat et beugle
Dans ta cervelle ainsi qu’un troupeau dans un pr.
Et les vices de tout le monde ont migr
Pour ton sang dont le fer lchement s’tiole.
Tu n’es plus bon rien de propre, ta parole
Est morte de l’argot et du ricanement,
Et d’avoir rabch les bourdes du moment.
Ta mmoire, de tant d’obscnits bonde,
Ne saurait accueillir la plus petite ide,
Et patauge parmi l’gosme ambiant,
En qute d’on ne peut dire quel vil nant!
Seul, entre les dbris honnis de ton dsastre,
L’Orgueil, qui met la flamme au fond du potastre
Et fait au criminel un prestige odieux,
Seul, l’Orgueil est vivant, il danse dans tes yeux,
Il regarde la Faute et rit de s’y complaire.
—Dieu des humbles, sauvez cet enfant de colre!
V
Beaut des femmes, leur faiblesse, et ces mains ples
Qui font souvent le bien et peuvent tout le mal.
Et ces yeux, o plus rien ne reste d’animal
Que juste assez pour dire: ‘assez’ aux fureurs mles
Et toujours, maternelle endormeuse des rles,
Mme quand elle ment, cette voix! Matinal
Appel, ou chant bien doux vpre, ou frais signal,
Ou beau sanglot qui va mourir au pli des chles…
Hommes durs! Vie atroce et laide d’ici-bas!
Ah! que, du moins, loin des baisers et des combats,
Quelque chose demeure un peu sur la montagne,
Quelque chose du coeur enfantin et subtil,
Bont, respect! Car qu’est-ce qui nous accompagne,
Et vraiment, quand la mort viendra, que reste-t-il?
VI
O vous, comme un qui boite au loin, Chagrins et Joies,
Toi, coeur saignant d’hier qui flambes aujourd’hui,
C’est vrai pourtant que c’est fini, que tout a fui
De nos sens, aussi bien les ombres que les proies.
Vieux bonheurs, vieux malheurs, comme une file d’oies
Sur la route en poussire o tous les pieds ont lui,
Bon voyage! Et le Rire, et, plus vieille que lui,
Toi, Tristesse noye au vieux noir que tu broies,
Et le reste!—Un doux vide, un grand renoncement
Quelqu’un en nous qui sent la paix immensment,
Une candeur d’me d’une fracheur dlicieuse…
Et voyez! notre coeur qui saignait sous l’orgueil,
Il flambe dans l’amour, et s’en va faire accueil
A la vie, en faveur d’une mort prcieuse!
VII
Les faux beaux jours ont lui tout le jour, ma pauvre me,
Et les voici vibrer aux cuivres du couchant.
Ferme les yeux, pauvre me, et rentre sur-le-champ:
Une tentation des pires. Fuis l’infme.
Ils ont lui tout le jour en longs grlons de flamme,
Battant toute vendange aux collines, couchant
Toute moisson de la valle, et ravageant
Le ciel tout bleu, le ciel, chanteur qui te rclame.
O plis, et va-t’en, lente et joignant les mains.
Si ces hiers allaient manger nos beaux demains?
Si la vieille folie tait encore en route?
Ces souvenirs, va-t-il falloir les retuer?
Un assaut furieux, le suprme, sans doute!
O, va prier contre l’orage, va prier.
VIII
La vie humble aux travaux ennuyeux et faciles
Est une oeuvre de choix qui veut beaucoup d’amour:
Rester gai quand le jour triste succde au jour,
tre fort, et s’user en circonstances viles,
N’entendre, n’couter aux bruits des grandes villes
Que l’appel, mon Dieu, des cloches dans la tour,
Et faire un de ces bruits soi-mme, cela pour
L’accomplissement vil de tches puriles,
Dormir chez les pcheurs tant un pnitent,
N’aimer que le silence et conserver pourtant
Le temps si grand dans la patience si grande,
Le scrupule naf aux repentirs ttus,
Et tous ces soins autour de ces pauvres vertus!
—Fi, dit l’Ange Gardien, de l’orgueil qui marchande!
IX
Sagesse d’un Louis Racine, je t’envie!
O n’avoir pas suivi les leons de Rollin,
N’tre pas n dans le grand sicle son dclin,
Quand le soleil couchant, si beau, dorait la vie,
Quand Maintenon jetait sur la France ravie
L’ombre douce et la paix de ses coiffes de lin,
Et royale abritait la veuve et l’orphelin,
Quand l’tude de la prire tait suivie,
Quand pote et docteur, simplement, bonnement,
Communiaient avec des ferveurs de novices,
Humbles servaient la Messe et chantaient aux offices,
Et, le printemps venu, prenaient un soin charmant
D’aller dans les Auteuils cueillir lilas et roses
En louant Dieu, comme Garo, de toutes choses!
X
Non. Il fut gallican, ce sicle, et jansniste!
C’est vers le Moyen Age norme et dlicat
Qu’il faudrait que mon coeur en panne navigut,
Loin de nos jours d’esprit charnel et de chair triste.
Roi, politicien, moine, artisan, chimiste,
Architecte, soldat, mdecin, avocat,
Quel temps! Oui, que mon coeur naufrag rembarqut
Pour toute cette force ardente, souple, artiste!
Et l que j’eusse part—quelconque, chez les rois
Ou bien ailleurs, n’importe, la chose vitale,
Et que je fusse un saint, actes bons, pensers droits,
Haute thologie et solide morale,
Guid par la folie unique de la Croix
Sur tes ailes de pierre, folle Cathdrale!
XI
Petits amis qui stes nous prouver
Par A plus B que deux et deux font quatre,
Mais qui depuis voulez parachever
Une victoire o l’on se laissait battre,
Et couronner vos conqutes d’un coup
Par ce soufflet la mmoire humaine,
‘Dieu ne vous a rvl rien du tout,
Car nous disions qu’il n’est que l’ombre vaine,
Que le profil et que l’allongement,
Sur tous les murs que la peur difie
De votre pur et simple mouvement,
Et nous dictons cette philosophie.’
—Frres trop chers, laissez-nous rire un peu,
Nous les fervents d’une logique rance,
Qui justement n’avons de foi qu’en Dieu
Et mettons notre espoir dans l’Esprance,
Laissez-nous rire un peu, pleurer aussi,
Pleurer sur vous, rire du vieux blasphme,
Rire du vieux Satan stupide ainsi,
Pleurer sur cet Adam dupe quand mme!
Frres de nous qui payons vos orgueils,
Tous fils du mme Amour, ah! la science,
Allons donc, allez donc, c’est nos cercueils
Nafs ou non, c’est notre mfiance
Ou notre confiance aux seuls Rcits,
C’est notre oreille ouverte toute grande
Ou tristement ferme au Mot prcis!
Frres, lchez la science gourmande
Qui veut voler sur les ceps dfendus
Le fruit sanglant qu’il ne faut pas connatre.
Lchez son bras qui vous tient attendus
Pour des enfers que Dieu n’a pas fait natre,
Mais qui sont l’oeuvre affreuse du pch,
Car nous, les fils attentifs de l’Histoire,
Nous tenons pour l’honneur jamais tach
De la Tradition, supplice et gloire!
Nous sommes srs des Aeux nous disant
Qu’ils ont vu Dieu sous telle ou telle forme
Et prdisant aux crimes d’ prsent
La peine immense ou le pardon norme.
Puisqu’ils avaient vu Dieu prsent toujours,
Puisqu’ils ne mentaient pas, puisque nos crimes
Vont effrayants, puisque vos yeux sont courts,
Et puisqu’il est des repentirs sublimes,
Ils ont dit tout. Savoir le reste est bien:
Que deux et deux fassent quatre, merveille!
Riens innocents, mais des riens moins que rien,
La dernire heure tant l qui surveille
Tout autre soin dans l’homme en vrit!
Gardez que trop chercher ne vous sduise
Loin d’une sage et forte humilit…
Le seul savant, c’est encore Mose.
XII
Or, vous voici promus, petits amis,
Depuis les temps de ma lettre premire,
Promus, disais-je, aux fiers emplois promis
A votre thse, en ces jours de lumire.
Vous voici rois de France! A votre tour!
(Rois plusieurs d’une France postiche,
Mais rois de fait et non sans quelque amour
D’un trne lourd avec un budget riche.)
A l’oeuvre, amis petits! Nous avons droit
De vous y voir, payant de notre poche,
Et d’tre un peu rjouis l’endroit
De votre tat sans peur et sans reproche.
Sans peur? Du matre? O le matre, mais c’est
L’Ignorant-chiffre et le Suffrage-nombre,
Total, le peuple, ‘un ne’ fort ‘qui s’est
Cabr’, pour vous, espoir clair, puis fait sombre,
Cabr comme une chvre, c’est le mot.
Et votre bras, saignant jusqu’ l’aisselle,
S’efforce en vain: fort comme Bhmot,
Le monstre tire… et votre peur est telle
Que l’ne brait, que le voil parti
Qui par les dents vous boute cent ruades
En forme de reproche bien senti…
Courez aprs, frottant vos reins malades!
O Peuple, nous t’aimons immensment:
N’es-tu donc pas la pauvre me ignorante
En proie tout ce qui sait et qui ment?
N’es-tu donc pas l’immensit souffrante?
La charit nous fait chercher tes maux,
La foi nous guide travers les tnbres.
On t’a rendu semblable aux animaux
Moins leur candeur, et plein d’instincts funbres,
L’orgueil t’a pris en ce quatre-vingt-neuf,
Nabuchodonosor, et te faire patre,
ne obstin, mouton but, dur boeuf,
Broutant pouvoir, famille, soldat, prtre!
O paysan cass sur tes sillons,
Ple ouvrier qu’esquint machine,
Membres sacrs de Jsus-Christ, allons,
Relevez-vous, honorez votre chine,
Portez l’amour qu’il faut vos bras forts,
Vos pieds vaillants sont les plus beaux du monde,
Respectez-les, fuyez ces chemins tors,
Fermez l’oreille ce conseil immonde,
Redevenez les Franais d’autrefois,
Fils de l’glise, et dignes de vos pres!
O s’ils savaient ceux-ci sur vos pavois,
Leurs os sueraient de honte aux cimetires.
—Vous, nos tyrans minuscules d’un jour
(L’normit des actes rend les princes
Surtout de souche impure, et malgr cour
Et splendeur et le faste, encor plus minces),
Laissez le rgne et rentrez dans le rang.
Aussi bien l’heure est proche o la tourmente
Vous va donner des loisirs, et tout blanc
L’avenir flotte avec sa fleur charmante
Sur la Bastille absurde o vous teniez
La France aux fers d’un blasphme et d’un schisme,
Et la chronique en de clments Tniers
Dj vous peint allant au catchisme.
XIII
Prince mort en soldat cause de la France,
Ame certes lue,
Fier jeune homme si pur tomb plein d’esprance,
Je t’aime et te salue!
Ce monde est si mauvais, notre pauvre patrie
Va sous tant de tnbres,
Vaisseau dsempar dont l’quipage crie
Avec des voix funbres,
Ce sicle est un tel ciel tragique o les naufrages
Semblent crits d’avance…
Ma jeunesse, leve aux doctrines sauvages,
Dtesta ton enfance,
Et plus tard, coeur pirate pris des seules ctes
O la rvolte naisse,
Mon ge d’homme, noir d’orages et de fautes,
Abhorrait ta jeunesse.
Maintenant j’aime Dieu, dont l’amour et la foudre
M’ont fait une me neuve,
Et maintenant que mon orgueil rduit en poudre,
Humble, accepte l’preuve.
J’admire ton destin, j’adore, tout en larmes
Pour les pleurs de ta mre,
Dieu qui te fit mourir, beau prince, sous les armes,
Comme un hros d’Homre.
Et je dis, rservant d’ailleurs mon voeu suprme
Au lis de Louis Seize:
Napolon qui fus digne du diadme,
Gloire ta mort franaise!
Et priez bien pour nous, pour cette France ancienne,
Aujourd’hui vraiment ‘Sire’,
Dieu qui vous couronna, sur la terre paenne,
Bon chrtien, du martyre!
XIV
Vous reviendrez bientt les bras pleins de pardons
Selon votre coutume,
O Pres excellents qu’aujourd’hui nous perdons
Pour comble d’amertume.
Vous reviendrez, vieillards exquis, avec l’honneur
Avec sa Fleur chrie,
Et que de pleurs Joyeux, et quels cris de bonheur
Dans toute la patrie!
Vous reviendrez, aprs ces glorieux exils,
Aprs des moissons d’mes,
Aprs avoir pri pour ceux-ci, fussent-ils
Encore plus infmes,
Aprs avoir couvert les les et la mer
De votre ombre si douce
Et rjoui le ciel et constern l’enfer,
Bni qui vous repousse,
Bni qui vous dpouille au cri de libert,
Bni l’impie en armes,
Et l’enfant qu’il vous prend des bras—et rachet
Nos crimes par vos larmes!
Proscrits des jours, vainqueurs des temps non point adieu
Vous tes l’esprance.
A tantt, Pres saints, qui nous vaudrez de Dieu
Le salut pour la France!
XV
On n’offense que Dieu qui seul pardonne. Mais
On contriste son frre, on l’afflige, on le blesse,
On fait gronder sa haine ou pleurer sa faiblesse,
Et c’est un crime affreux qui va troubler la paix
Des simples, et donner au monde sa pture,
Scandale, coeurs perdus, gros mots et rire pais.
Le plus souvent par un effet de la nature
Des choses, ce pch trouve son chtiment
Mme ici-bas, froce et long communment.
Mais l’Amour tout-puissant donne la crature
Le sens de son malheur qui mne au repentir
Par une route lente et haute, mais trs sre.
Alors un grand dsir, un seul, vient investir
Le pnitent, aprs les premires alarmes.
Et c’est d’humilier son front devant les larmes
De nagure, sans rien qui pourrait amortir
Le coup droit pour l’orgueil, et de rendre les armes
Comme un soldat vaincu,—triste de bonne foi.
O ma soeur, qui m’avez puni, pardonnez-moi!
XVI
coutez la chanson bien douce
Qui ne pleure que pour vous plaire,
Elle est discrte, elle est lgre:
Un frisson d’eau sur de la mousse!
La voix vous fut connue (et chre!),
Mais prsent elle est voile
Comme une veuve dsole,
Pourtant comme elle encore fire,
Et dans les longs plis de son voile
Qui palpite aux brises d’automne,
Cache et montre au coeur qui s’tonne
La vrit comme une toile.
Elle dit, la voix reconnue,
Que la bont c’est notre vie,
Que de la haine et de l’envie
Rien ne reste, la mort venue.
Elle parle aussi de la gloire
D’tre simple sans plus attendre,
Et de noces d’or et du tendre
Bonheur d’une paix sans victoire.
Accueillez la voix qui persiste
Dans son naf pithalame.
Allez, rien n’est meilleur l’me
Que de faire une me moins triste!
Elle est en peine et de passage
L’me qui souffre sans colre.
Et comme sa morale est claire!…
coutez la chanson bien sage.
XVII
Les chres mains qui furent miennes,
Toutes petites, toutes belles,
Aprs ces mprises mortelles
Et toutes ces choses paennes,
Aprs les rades et les grves,
Et les pays et les provinces,
Royales mieux qu’au temps des princes,
Les chres mains m’ouvrent les rves.
Mains en songe, mains sur mon me,
Sais-je, moi, ce que vous daigntes,
Parmi ces rumeurs sclrates,
Dire cette me qui se pme?
Ment-elle, ma vision chaste
D’affinit spirituelle,
De complicit maternelle,
D’affection troite et vaste?
Remords si cher, peine trs bonne,
Rves bnits, mains consacres,
O ces mains, ces mains vnres.
Faites le geste qui pardonne!
XVIII
Et j’ai revu l’enfant unique: il m’a sembl
Que s’ouvrait dans mon coeur la dernire blessure,
Celle dont la douleur plus exquise m’assure
D’une mort dsirable en un jour consol.
La bonne flche aigu et sa fracheur qui dure!
En ces instants choisis elles ont veill
Les rves un peu lourds du scrupule ennuy,
Et tout mon sang chrtien chanta la Chanson pure.
J’entends encor, je vois encor! Loi du devoir
Si douce! Enfin je sais ce qu’est entendre et voir,
J’entends, je vois toujours! Voix des bonnes penses,
Innocence, avenir! Sage et silencieux,
Que je vais vous aimer, vous un instant presses,
Belles petites mains qui fermerez nos yeux!
XIX
Voix de l’Orgueil, un cri puissant, comme d’un cor.
Des toiles de sang sur des cuirasses d’or,
On trbuche travers des chaleurs d’incendie…
Mais en somme la voix s’en va, comme d’un cor.
Voix de la Haine: cloche en mer, fausse, assourdie
De neige lente. Il fait si froid! Lourde, affadie,
La vie a peur et court follement sur le quai
Loin de la cloche qui devient plus assourdie.
Voix de la Chair: un gros tapage fatigu.
Des gens ont bu. L’endroit fait semblant d’tre gai.
Des yeux, des noms, et l’air plein de parfums atroces
O vient mourir le gros tapage fatigu.
Voix d’Autrui: des lointains dans les brouillards. Des noces
Vont et viennent. Des tas d’embarras. Des ngoces,
Et tout le cirque des civilisations
Au son trotte-menu du violon des noces.
Colres, soupirs noirs, regrets, tentations
Qu’il a fallu pourtant que nous entendissions
Pour l’assourdissement des silences honntes,
Colres, soupirs noirs, regrets, tentations,
Ah! les Voix, mourez donc, mourantes que vous tes,
Sentences, mots en vain, mtaphores mal faites,
Toute la rhtorique en fuite des pchs,
Ah! les Voix, mourez donc, mourantes que vous tes!
Nous ne sommes plus ceux que vous auriez cherchs.
Mourez nous, mourez aux humbles voeux cachs
Que nourrit la douceur de la Parole forte,
Car notre coeur n’est plus de ceux que vous cherchez!
Mourez parmi la voix que la prire emporte
Au ciel, dont elle seule ouvre et ferme la porte
Et dont elle tiendra les sceaux au dernier jour,
Mourez parmi la voix que la prire apporte,
Mourez parmi la voix terrible de l’Amour!
XX
L’ennemi se dguise en L’Ennui
Et me dit: ‘A quoi bon, pauve dupe?’
Moi je passe et me moque de lui.
L’ennemi se dguise en la Chair
Et me dit: ‘Bah! retrousse une jupe!’
Moi j’carte le conseil amer.
L’ennemi se transforme en un Ange
De lumire et dit: ‘Qu’est ton effort
A ct des tributs de louange
Et de Foi dus au Pre cleste?
Ton amour va-t-il jusqu’ la mort?’
Je rponds: ‘L’Esprance me reste.’
Comme c’est le vieux logicien,
Il a fait bientt de me rduire
A ne plus vouloir rpliquer rien,
Mais sachant qui c’est, pouvant
De ne plus sentir les mondes luire,
Je prierai pour de l’humilit.
XXI
Va ton chemin sans plus t’inquiter!
La route est droite et tu n’as qu’ monter,
Portant d’ailleurs le seul trsor qui vaille
Et l’arme unique au cas d’une bataille,
La pauvret d’esprit et Dieu pour toi.
Surtout il faut garder toute esprance,
Qu’import un peu de nuit et de souffrances?
La route est bonne et la mort est au bout,
Oui, garde toute esprance surtout,
La mort l-bas te dresse un lit de joie.
Et fais-toi doux de toute la douceur.
La vie est laide, encore c’est ta soeur.
Simple, gravis la cte et mme chante.
Pour carter la prudence mchante
Dont la voix basse est pour tenter ta foi.
Simple comme un enfant, gravis la cte,
Humble comme un pcheur qui hait la faute,
Chante, et mme sois gai, pour dfier
L’ennui que l’ennemi peut t’envoyer
Afin que tu t’endormes sur la voie.
Ris du vieux pige et du vieux sducteur,
Puisque la Paix est l, sur la hauteur,
Qui luit parmi les fanfares de la gloire,
Monte, ravi, dans la nuit blanche et noire,
Dj l’Ange Gardien tend sur toi
Joyeusement des ailes de victoire.
XXII
Pourquoi triste, mon me,
Triste jusqu’ la mort,
Quand l’effort te rclame,
Quand le suprme effort
Est l qui te rclame?
Ah! tes mains que tu tords
Au lieu d’tre la lche,
Tes lvres que tu mords
Et leur silence lche,
Et tes yeux qui sont morts!
N’as-tu pas l’esprance
De la fidlit,
Et, pour plus d’assurance
Dans la scurit,
N’as-tu pas la souffrance?
Mais chasse le sommeil
Et ce rve qui pleure.
Grand jour et plein soleil!
Vois, il est plus que l’heure:
Le ciel bruit vermeil,
Et la lumire crue
Dcoupant d’un trait noir
Toute chose apparue,
Te montre le Devoir
Et sa forme bourrue.
Marche lui vivement.
Tu verras disparatre
Tout aspect inclment
De sa manire d’tre,
Avec l’loignement.
C’est le dpositaire
Qui te garde un trsor
D’amour et de mystre,
Plus prcieux que l’or,
Plus sr que rien sur terre:
Les biens qu’on ne voit pas,
Toute joie inoue,
Votre paix, saints combats,
L’extase panouie
Et l’oubli d’ici-bas,
Et l’oubli d’ici-bas!
XXIII
N l’enfant des grandes villes
Et des rvoltes serviles,
J’ai l, tout cherch, trouv
De tout apptit rv.
Mais, puisque rien n’en demeure,
J’ai dit un adieu lger
A tout ce qui peut changer.
Au plaisir, au bonheur mme,
Et mme tout ce que j’aime
Hors de vous, mon doux Seigneur!
La Croix m’a pris sur ses ailes
Qui m’emporte aux meilleurs zles,
Silence, expiation,
Et l’pre vocation
Pour la vertu qui s’ignore.
Douce, chre Humilit,
Arrose ma charit,
Trempe-la de tes eaux vives.
O mon coeur, que tu ne vives
Qu’aux fins d’une bonne mort!
XXIV
L’me antique tait rude et vaine
Et ne voyait dans la douleur
Que l’acuit de la peine
Ou l’tonnement du malheur.
L’art, sa figure la plus claire
Traduit ce double sentiment
Par deux grands types de la Mre
En proie au suprme tourment.
C’est la vieille reine de Troie:
Tous ses fils sont morts par le fer.
Alors ce deuil brutal aboie
Et glapit au bord de la mer.
Elle court le long du rivage,
Bavant vers le flot cumant,
Hirsute, criade, sauvage,
La chienne littralement!…
Et c’est Niob qui s’effare
Et garde fixement des yeux
Sur les dalles de pierre rare
Ses enfants tus par les cieux.
Le souffle expire sur sa bouche.
Elle meurt dans un geste fou.
Ce n’est plus qu’un marbre farouche
L transport nul ne sait d’o!…
La douleur chrtienne est immense.
Elle, comme le coeur humain,
Elle souffre, puis elle pense,
Et calme poursuit son chemin.
Elle est debout sur le Calvaire
Pleine de larmes et sans cris.
C’est galement une mre,
Mais quelle mre de quel fils!
Elle participe au Supplice
Qui sauve toute nation,
Attendrissant le sacrifice
Par sa vaste compassion.
Et comme tous sont les fils d’elle,
Sur le monde et sur sa langueur
Toute la charit ruisselle
Des sept blessures de son coeur,
Au jour qu’il faudra, pour la gloire
Des cieux enfin tout grands ouverts,
Ceux qui surent et purent croire,
Bons et doux, sauf au seul Pervers,
Ceux-l vers la joie infinie
Sur la colline de Sion
Monteront d’une aile bnie
Aux plis de son assomption.
I
O mon Dieu, vous m’avez bless d’amour
Et la blessure est encore vibrante,
O mon Dieu, vous m’avez bless d’amour!
O mon Dieu, votre crainte m’a frapp
Et la brlure est encor l qui tonne,
O mon Dieu, votre crainte m’a frapp!
O mon Dieu, j’ai connu que tout est vil
Et votre gloire en moi s’est installe,
O mon Dieu, j’ai connu que tout est vil!
Noyez mon me aux flots de votre Vin,
Fondez ma vie au Pain de votre table,
Noyez mon me aux flots de votre Vin.
Voici mon sang que je n’ai pas vers,
Voici ma chair indigne de souffrance,
Voici mon sang que je n’ai pas vers.
Voici mon front qui n’a pu que rougir
Pour l’escabeau de vos pieds adorables,
Voici mon front qui n’a pu que rougir.
Voici mes mains qui n’ont pas travaill
Pour les charbons ardents et l’encens rare,
Voici mes mains qui n’ont pas travaill.
Voici mon coeur qui n’a battu qu’en vain,
Pour palpiter aux ronces du Calvaire,
Voici mon coeur qui n’a battu qu’en vain.
Voici mes pieds, frivoles voyageurs,
Pour accourir au cri de votre grce,
Voici mes pieds, frivoles voyageurs.
Voici ma voix, bruit maussade et menteur,
Pour les reproches de la Pnitence,
Voici ma voix, bruit maussade et menteur.
Voici mes yeux, luminaires d’erreur,
Pour tre teints aux pleurs de la prire,
Voici mes yeux, luminaires d’erreur.
Hlas, Vous, Dieu d’offrande et de pardon,
Quel est le puits de mon ingratitude,
Hlas! Vous, Dieu d’offrande et de pardon!
Dieu de terreur et Dieu de saintet,
Hlas! ce noir abme de mon crime,
Dieu de terreur et Dieu de saintet,
Vous, Dieu de paix, de joie et de bonheur,
Toutes mes peurs, toutes mes ignorances,
Vous, Dieu de paix, de joie et de bonheur,
Vous connaissez tout cela, tout cela,
Et que je suis plus pauvre que personne,
Vous connaissez tout cela, tout cela,
Mais ce que j’ai, mon Dieu, je vous le donne.
II
Je ne veux plus aimer que ma mre Marie.
Tous les autres amours sont de commandement.
Ncessaires qu’ils sont, ma mre seulement
Pourra les allumer aux coeurs qui l’ont chrie.
C’est pour Elle qu’il faut chrir mes ennemis,
C’est par Elle que j’ai vou ce sacrifice,
Et la douceur de coeur et le zle au service,
Comme je la priais, Elle les a permis.
Et comme j’tais faible et bien mchant encore,
Aux mains lches, les yeux blouis des chemins,
Elle baissa mes yeux et me joignit les mains,
Et m’enseigna les mots par lesquels on adore.
C’est par Elle que j’ai voulu de ces chagrins,
C’est pour Elle que j’ai mon coeur dans les cinq Plaies,
Et tous ces bons efforts vers les croix et les claies,
Comme je l’invoquais, Elle en ceignit mes reins.
Je ne veux plus penser qu’ ma mre Marie,
Sige de la sagesse et source des pardons,
Mre de France aussi, de qui nous attendons
Inbranlablement l’honneur de la patrie.
Marie Immacule, amour essentiel,
Logique de la foi cordiale et vivace,
En vous aimant qu’est-il de bon que je ne fasse,
En vous aimant du seul amour, Porte du ciel?
III
Vous tes calme, vous voulez un voeu discret,
Des secrets mi-voix dans l’ombre et le silence,
Le coeur qui se rpand plutt qu’il ne s’lance,
Et ces timides, moins transis qu’il ne parat.
Vous accueillez d’un geste exquis telles penses
Qui ne marchent qu’en ordre et font le moins de bruit.
Votre main, toujours prte la chute du fruit,
Patiente avec l’arbre et s’abstient de pousses.
Et si l’immense amour de vos commandements
Embrasse et presse tous en sa sollicitude,
Vos conseils vont dicter aux meilleurs et l’tude
Et le travail des plus humbles recueillements.
Le pcheur, s’il prtend vous connatre et vous plaire,
O vous qui nous aimant si fort parliez si peu,
Doit et peut, tout temps du jour comme en tout lieu,
Bien faire obscurment son devoir et se taire.
Se taire pour le monde, un pur snat de fous,
Se taire sur autrui, des mes prcieuses,
Car nous taire vous plat, mme aux heures pieuses,
Mme la mort, sinon devant le prtre et vous.
Donnez-leur le silence et l’amour du mystre,
O Dieu glorifieur du bien fait en secret,
A ces timides moins transis qu’il ne parat,
Et l’horreur, et le pli des choses de la terre.
Donnez-leur, mon Dieu, la rsignation,
Toute forte douceur, l’ordre et l’intelligence,
Afin qu’au jour suprme ils gagnent l’indulgence
De l’Agneau formidable en la neuve Sion,
Afin qu’ils puissent dire: ‘Au moins nous smes croire’,
Et que l’Agneau terrible, ayant tout supput,
Leur rponde: ‘Venez, vous avez mrit,
Pacifiques, ma paix, et, douloureux, ma gloire.’
IV
I
Mon Dieu m’a dit: Mon fils, il faut m’aimer. Tu vois
Mon flanc perc, mon coeur qui rayonne et qui saigne,
Et mes pieds offenss que Madeleine baigne
De larmes, et mes bras douloureux sous le poids
De tes pchs, et mes mains! Et tu vois la croix,
Tu vois les clous, le fiel, l’ponge et tout t’enseigne
A n’aimer, en ce monde o la chair rgne,
Que ma Chair et mon Sang, ma parole et ma voix.
Ne t’ai-je pas aim jusqu’ la mort moi-mme,
O mon frre en mon Pre, mon fils en l’Esprit,
Et n’ai-je pas souffert, comme c’tait crit?
N’ai-je pas sanglot ton angoisse suprme
Et n’ai-je pas su la sueur de tes nuits,
Lamentable ami qui me cherches o je suis?’
II
J’ai rpondu: Seigneur, vous avez dit mon me.
C’est vrai que je vous cherche et ne vous trouve pas.
Mais vous aimer! Voyez comme je suis en bas,
Vous dont l’amour toujours monte comme la flamme.
Vous, la source de paix que toute soif rclame,
Hlas! Voyez un peu mes tristes combats!
Oserai-je adorer la trace de vos pas,
Sur ces genoux saignants d’un rampement infme?
Et pourtant je vous cherche en longs ttonnements,
Je voudrais que votre ombre au moins vtt ma honte,
Mais vous n’avez pas d’ombre, vous dont l’amour monte,
O vous, fontaine calme, amre aux seuls amants
De leur damnation, vous toute lumire
Sauf aux yeux dont un lourd baiser tient la paupire!
III
—Il faut m’aimer! Je suis l’universel Baiser,
Je suis cette paupire et je suis cette lvre
Dont tu parles, cher malade, et cette fivre
Qui t’agite, c’est moi toujours! Il faut oser
M’aimer! Oui, mon amour monte sans biaiser
Jusqu’o ne grimpe pas ton pauvre amour de chvre,
Et t’emportera, comme un aigle vole un livre,
Vers des serpolets qu’un ciel cher vient arroser.
O ma nuit claire! tes yeux dans mon clair de lune!
O ce lit de lumire et d’eau parmi la brune!
Toute celle innocence et tout ce reposoir!
Aime-moi! Ces deux mots sont mes verbes suprmes,
Car tant ton Dieu tout-puissant, je peux vouloir,
Mais je ne veux d’abord que pouvoir que tu m’aimes.
IV
—Seigneur, c’est trop? Vraiment je n’ose. Aimer qui? Vous?
Oh! non! Je tremble et n’ose. Oh! vous aimer je n’ose,
Je ne veux pas! Je suis indigne. Vous, la Rose
Immense des purs vents de l’Amour, Vous, tous
Les coeurs des saints, vous qui ftes le Jaloux
D’Isral, Vous, la chaste abeille qui se pose
Sur la seule fleur d’une innocence mi-close,
Quoi, moi, moi, pouvoir Vous aimer. tes-vous fous2
Pre, Fils, Esprit? Moi, ce pcheur-ci, ce lche,
Ce superbe, qui fait le mal comme sa tche
Et n’a dans tous ses sens, odorat, toucher, got,
Vue, oue, et dans tout son tre—hlas! dans tout
Son espoir et dans tout son remords que l’extase
D’une caresse o le seul vieil Adam s’embrase?
Note 2: (retour) Saint Augustin.
V
—Il faut m’aimer. Je suis ces Fous que tu nommais,
Je suis l’Adam nouveau qui mange le vieil homme,
Ta Rome, ton Paris, ta Sparte et ta Sodome,
Comme un pauvre ru parmi d’horribles mets.
Mon amour est le feu qui dvore jamais
Toute chair insense, et l’vapore comme
Un parfum,—et c’est le dluge qui consomme
En son flot tout mauvais germe que je semais,
Afin qu’un jour la Croix o je meurs ft dresse
Et que par un miracle effrayant de bont
Je t’eusse un jour moi, frmissant et dompt.
Aime. Sors de ta nuit. Aime. C’est ma pense
De toute ternit, pauvre me dlaisse,
Que tu dusses m’aimer, moi seul qui suis rest!
VI
—Seigneur, j’ai peur. Mon me en moi tressaille toute.
Je vois, je sens qu’il faut vous aimer. Mais comment
Moi, ceci, me ferais-je, mon Dieu, votre amant,
O Justice que la vertu des bons redoute?
Oui, comment? Car voici que s’branle la vote
O mon coeur creusait son ensevelissement
Et que je sens fluer moi le firmament,
Et je vous dis: de vous moi quelle est la route?
Tendez-moi votre main, que je puisse lever
Cette chair accroupie et cet esprit malade.
Mais recevoir jamais la cleste accolade,
Est-ce possible? Un jour, pouvoir la retrouver
Dans votre sein, sur votre coeur qui fut le ntre,
La place o reposa la tte de l’aptre?
VII
—Certes, si tu le veux mriter, mon fils, oui,
Et voici. Laisse aller l’ignorance indcise
De ton coeur vers les bras ouverts de mon glise,
Comme la gupe vole au lis panoui.
Approche-toi de mon oreille. panches-y
L’humiliation d’une brave franchise.
Dis-moi tout sans un mot d’orgueil ou de reprise
Et m’offre le bouquet d’un repentir choisi.
Puis franchement et simplement viens ma table.
Et je t’y bnirai d’un repas dlectable
Auquel l’ange n’aura lui-mme qu’assist,
Et tu boiras le Vin de la vigne immuable,
Dont la force, dont la douceur, dont la bont
Feront germer ton sang l’immortalit.
***
Puis, va! Garde une foi modeste en ce mystre
D’amour par quoi je suis ta chair et ta raison,
Et surtout reviens trs souvent dans ma maison,
Pour y participer au Vin qui dsaltre,
Au Pain sans qui la vie est une trahison,
Pour y prier mon Pre et supplier ma Mre
Qu’il te soit accord, dans l’exil de la terre,
D’tre l’agneau sans cris qui donne sa toison,
D’tre l’enfant vtu de lin et d’innocence,
D’oublier ton pauvre amour-propre et ton essence,
Enfin, de devenir un peu semblable moi
Qui fus, durant les jours d’Hrode et de Pilate
Et de Judas et de Pierre, pareil toi
Pour souffrir et mourir d’une mort sclrate!
***
Et pour rcompenser ton zle en ces devoirs
Si doux qu’ils sont encore d’ineffables dlices,
Je te ferai goter sur terre mes prmices,
La paix du coeur, l’amour d’tre pauvre, et mes soirs
Mystiques, quand l’esprit s’ouvre aux calmes espoirs
Et croit boire, suivant ma promesse, au Calice
ternel, et qu’au ciel pieux la lune glisse,
Et que sonnent les anglus roses et noirs,
En attendant l’assomption dans ma lumire,
L’veil sans fin dans ma charit coutumire,
La musique de mes louanges jamais,
Et l’extase perptuelle et la science,
Et d’tre en moi parmi l’aimable irradiance
De tes souffrances, enfin miennes, que j’aimais!
***
—Ah! Seigneur, qu’ai-je? Hlas! me voici tout en larmes
D’une joie extraordinaire: votre voix
Me fait comme du bien et du mal la fois,
Et le mal et le bien, tout a les mmes charmes.
Je ris, je pleure, et c’est comme un appel aux armes
D’un clairon pour des champs de bataille o je vois
Des anges bleus et blancs ports sur des pavois,
Et ce clairon m’enlve en de fires alarmes.
J’ai l’extase et j’ai la terreur d’tre choisi.
Je suis indigne, mais je sais votre clmence.
Ah! quel effort, mais quelle ardeur! Et me voici
Plein d’une humble prire, encore qu’un trouble immense
Brouille l’espoir que votre voix me rvla,
Et j’aspire en tremblant.
IX
—Pauvre me, c’est cela!
III
I
Dsormais le Sage, puni
Pour avoir trop aim les choses,
Rendu prudent l’infini,
Mais franc de scrupules moroses,
Et d’ailleurs retournant au Dieu
Qui fit les yeux et la lumire,
L’honneur, la gloire, et tout le peu
Qu’a son me de candeur fire,
Le Sage peut dornavant
Assister aux scnes du monde,
Et suivre la chanson du vent,
Et contempler la mer profonde.
Il ira, calme, et passera
Dans la frocit des villes,
Comme un mondain l’Opra
Qui sort blas des danses viles.
Mme,—et pour tenir abaiss
L’orgueil, qui fit son me veuve,
Il remontera le pass,
Ce pass, comme un mauvais fleuve,
Il reverra l’herbe des bords,
Il entendra le flot qui pleure
Sur le bonheur mort et les torts
De cette date et de cette heure!…
Il aimera les cieux, les champs,
La bont, l’ordre et l’harmonie,
Et sera doux, mme aux mchants,
Afin que leur mort soit bnie.
Dlicat et non exclusif,
Il sera du jour o nous sommes:
Son coeur, plutt contemplatif,
Pourtant saura l’oeuvre des hommes.
Mais, revenu des passions,
Un peu mfiant des ‘usages’,
A vos civilisations
Prfrera les paysages.
II
Du fond du grabat
As-tu vu l’toile
Que l’hiver dvoile?
Comme ton coeur bat,
Comme cette ide,
Regret ou dsir,
Ravage plaisir
Ta tte obsde,
Pauvre tte en feu,
Pauvre coeur sans dieu
L’ortie et l’herbette
Au bas du rempart
D’o l’appel frais part
D’une aigre trompette,
Le vent du coteau,
La Meuse, la goutte
Qu’on boit sur la route
A chaque criteau,
Les sves qu’on hume,
Les pipes qu’on fume!
Un rve de froid:
‘Que c’est beau la neige
Et tout son cortge
Dans leur cadre troit!
Oh! tes blancs arcanes,
Nouvelle Archangel,
Mirage ternel
De mes caravanes!
Oh! ton chaste ciel,
Nouvelle Archangel?’
Cette ville sombre!
Tout est crainte ici…
Le ciel est transi
D’clairer tant d’ombre.
Les pas que tu fais
Parmi ces bruyres
Lvent des poussires
Au souffle mauvais…
Voyageur si triste,
Tu suis quelle piste?
C’est l’ivresse mort,
C’est la noire orgie,
C’est l’amer effort
De ton nergie
Vers l’oubli dolent
De la voix intime,
C’est le seuil du crime,
C’est l’essor sanglant.
—Oh! fuis la chimre:
Ta mre, ta mre!
Quelle est cette voix
Qui ment et qui flatte!
‘Ah! la tte plate,
Vipre des bois!’
Pardon et mystre.
Laisse a dormir,
Qui peut, sans frmir,
Juger sur la terre?
‘Ah! pourtant, pourtant,
Ce monstre impudent!’
La mer! Puisse-t elle
Laver ta rancoeur,
La mer au grand coeur.
Ton aeule, celle
Qui chante en berant
Ton angoisse atroce,
La mer, doux colosse
Au sein innocent,
Grondeuse infinie
De ton ironie!
Tu vis sans savoir!
Tu verses ton me,
Ton lait et ta flamme
Dans quel dsespoir?
Ton sang qui s’amasse
En une fleur d’or
N’est pas prt encor
A la ddicace.
Attends quelque peu,
Ceci n’est que jeu.
Cette frnsie
T’initie au but.
D’ailleurs, le salut
Viendra d’un Messie
Dont tu ne sens plus,
Depuis bien des lieues,
Les effluves bleues
Sous tes bras perclus,
Naufrage d’un rve
Qui n’a pas de grve!
Vis en attendant
L’heure toute proche.
Ne sois pas prudent.
Trve tout reproche.
Fais ce que tu veux.
Une main te guide
A travers le vide
Affreux de tes voeux.
Un peu de courage,
C’est le bon orage.
Voici le Malheur
Dans sa plnitude.
Mais sa main rude
Quelle belle fleur!
‘La brlante pine!’
Un lis est moins blanc,
‘Elle m’entre au flanc.’
Et l’odeur divine!
‘Elle m’entre au coeur.’
Le parfum vainqueur!
‘Pourtant je regrette,
Pourtant je me meurs,
Pourtant ces deux coeurs…’
Lve un peu la tte:
‘Eh bien, c’est la Croix.’
Lve un peu ton me
De ce monde infme.
‘Est-ce que je crois?’
Qu’en sais-tu? La Bte
Ignore sa tte,
La Chair et le Sang
Mconnaissent l’Acte.
‘Mais j’ai fait un pacte
Qui va m’enlaant
A la faute noire,
Je me dois mon
Tenace dmon:
Je ne veux point croire.
Je n’ai pas besoin
De rver si loin!
‘Aussi bien j’coute
Des sons d’autrefois.
Vipre des bois,
Encor sur ma route?
Cette fois tu mords.’
Laisse cette bte.
Que fait au pote?
Que sont des coeurs morts?
Ah! plutt oublie
Ta propre folie.
Ah! plutt, surtout,
Douceur, patience,
Mi-voix et nuance,
Et paix jusqu’au bout!
Aussi bon que sage,
Simple autant que bon,
Soumets ta raison
Au plus pauvre adage,
Naf et discret,
Heureux en secret!
Ah! surtout, terrasse
Ton orgueil cruel,
Implore la grce
D’tre un pur Abel,
Finis l’odysse
Dans le repentir
D’un humble martyr,
D une humble pense.
Regarde au-dessus…
‘Est-ce vous, JSUS?’
III
L’espoir luit comme un brin de paille dans l’table.
Que crains-tu de la gupe ivre de son vol fou?
Vois, le soleil toujours poudroie quelque trou.
Que ne t’endormais-tu, le coude sur la table?
Pauvre me ple, au moins cette eau du puits glac,
Bois-la. Puis dors aprs. Allons, tu vois, je reste,
Et je dorloterai les rves de ta sieste,
Et tu chantonneras comme un enfant berc.
Midi sonne. De grce, loignez-vous, madame.
Il dort. C’est tonnant comme les pas de femme
Rsonnent au cerveau des pauvres malheureux.
Midi sonne. J’ai fait arroser dans la chambre.
Va, dors! L’espoir luit comme un caillou dans un creux.
Ah! quand refleuriront les roses de septembre!
IV
Gaspard Hauser chante:
Je suis venu, calme orphelin,
Riche de mes seuls yeux tranquilles,
Vers les hommes des grandes villes:
Ils ne m’ont pas trouv malin.
A vingt ans un trouble nouveau
Sous le nom d’amoureuses flammes
M’a fait trouver belles les femmes:
Elles ne m’ont pas trouv beau.
Bien que sans patrie et sans roi
Et trs brave ne l’tant gure,
J’ai voulu mourir la guerre:
La mort n’a pas voulu de moi.
Suis-je n trop tt ou trop lard?
Qu’est-ce que je fais en ce monde?
O vous tous, ma peine est profonde,
Priez pour le pauvre Gaspard!
V
Un grand sommeil noir
Tombe sur ma vie:
Dormez, tout espoir,
Dormez, toute envie!
Je ne vois plus rien,
Je perds la mmoire
Du mal et du bien…
O la triste histoire!
Je suis un berceau
Qu’une main balance
Au creux d’un caveau:
Silence, silence!
VI
Le ciel est, par-dessus le toit,
Si bleu, si calme!
Un arbre, par-dessus le toit
Berce sa palme.
La cloche dans le ciel qu’on voit
Doucement tinte.
Un oiseau sur l’arbre qu’on voit
Chante sa plainte.
Mon Dieu, mon Dieu, la vie est l,
Simple et tranquille.
Cette paisible rumeur-l
Vient de la ville.
—Qu’as-tu fait, toi que voil
Pleurant sans cesse,
Dis, qu’as-tu fait, toi que voil,
De ta jeunesse?
VII
Je ne sais pourquoi
Mon esprit amer
D’une aile inquite et folle vole sur la mer,
Tout ce qui m’est cher,
D’une aile d’effroi
Mon amour le couve au ras des flots. Pourquoi, pourquoi?
Mouette l’essor mlancolique.
Elle suit la vague, ma pense,
A tous les vents du ciel balance
Et biaisant quand la mare oblique,
Mouette l’essor mlancolique.
Ivre de soleil
Et de libert,
Un instinct la guide travers cette immensit.
La brise d’t
Sur le flot vermeil
Doucement la porte en un tide demi-sommeil.
Parfois si tristement elle crie
Qu’elle alarme au lointain le pilote,
Puis au gr du vent se livre et flotte
Et plonge, et l’aile toute meurtrie
Revole, et puis si tristement crie!
Je ne sais pourquoi
Mon esprit amer
D une aile inquite et folle vole sur la mer.
Tout ce qui m’est cher,
D’une aile d’effroi,
Mon amour le couve au ras des flots. Pourquoi, pourquoi?
VIII
Parfums, couleurs, systmes, lois!
Les mots ont peur comme des poules.
La Chair sanglote sur la croix.
Pied, c’est du rve que tu foules,
Et partout ricane la voix,
La voix tentatrice des foules.
Cieux bruns o nagent nos desseins,
Fleurs qui n’tes pas le calice,
Vin et ton geste qui se glisse,
Femme et l’oeillade de tes seins,
Nuit cline aux frais traversins,
Qu’est-ce que c’est que ce dlice,
Qu’est-ce que c’est que ce supplice,
Nous les damns et vous les Saints?
IX
Le son du cor s’afflige vers les bois
D’une douleur on veut croire orpheline
Qui vient mourir au bas de la colline
Parmi la bise errant en courts abois.
L’me du loup pleure dans cette voix
Qui monte avec le soleil qui dcline,
D’une agonie on veut croire cline
Et qui ravit et qui navre la fois.
Pour faire mieux cette plainte assoupie
La neige tombe longs traits de charpie
A travers le couchant sanguinolent,
Et l’air a l’air d’tre un soupir d’automne,
Tant il fait doux par ce soir monotone
O se dorlote un paysage lent.
X
La tristesse, langueur du corps humain
M’attendrissent, me flchissent, m’apitoient,
Ah! surtout quand des sommeils noirs le foudroient.
Quand les draps zbrent la peau, foulent la main!
Et que mivre dans la fivre du demain,
Tide encor du bain de sueur qui dcrot,
Comme un oiseau qui grelotte sous un toit!
Et les pieds, toujours douloureux du chemin,
Et le sein, marqu d’un double coup de poing,
Et la bouche, une blessure rouge encor,
Et la chair frmissante, frle dcor,
Et les yeux, les pauvres yeux si beaux o point
La douleur de voir encore du fini!…
Triste corps! Combien faible et combien puni!
XI
La bise se rue travers
Les buissons tout noirs et tout verts,
Glaant la neige parpille,
Dans la campagne ensoleille,
L’odeur est aigre prs des bois,
L’horizon chante avec des voix,
Les coqs des clochers des villages
Luisent crment sur les nuages.
C’est dlicieux de marcher
A travers ce brouillard lger
Qu’un vent taquin parfois retrousse.
Ah! fi de mon vieux feu qui tousse!
J’ai des fourmis plein les talons.
Debout, mon me, vite, allons!
C’est le printemps svre encore,
Mais qui par instant s’dulcore
D’un souffle tide juste assez
Pour mieux sentir les froids passs
Et penser au Dieu de clmence…
Va, mon me, l’espoir immense!
XII
Vous voil, vous voil, pauvres bonnes penses!
L’espoir qu’il faut, regret des grces dpenses,
Douceur de coeur avec svrit d’esprit,
Et cette vigilance, et le calme prescrit,
Et toutes!—Mais encor lentes, bien veilles,
Bien d’aplomb, mais encor timides, dbrouilles
A peine du lourd rve et de la tide nuit.
C’est qui de vous va plus gauche, l’une suit
L’autre, et toutes ont peur du vaste clair de lune.
‘Telles, quand des brebis sortent d’un clos. C’est une,
Puis deux, puis trois. Le reste est l, les yeux baisss,
La tte terre, et l’air des plus embarrasss,
Faisant ce que fait leur chef de file: il s’arrte,
Elles s’arrtent tour tour, posant leur tte
Sur son dos, simplement et sans savoir pourquoi3.’
Votre pasteur, mes brebis, ce n’est pas moi,
C’est un meilleur, un bien meilleur, qui sait les causes,
Lui qui vous tint longtemps et si longtemps l closes,
Mais qui vous dlivra de sa main au temps vrai.
Suivez-le. Sa houlette est bonne.
Et je serai,
Sous sa voix toujours douce votre ennui qui ble,
Je serai, moi, par vos chemins, son chien fidle.
Note 3: (retour) DANTE, le Purgatoire.
XIII
L’chelonnement des haies
Moutonne l’infini, mer
Claire dans le brouillard clair
Qui sent bon les jeunes baies.
Des arbres et des moulins
Sont lgers sous le vert tendre
O vient s’battre et s’tendre
L’agilit des poulains.
Dans ce vague d’un Dimanche
Voici se jouer aussi
De grandes brebis aussi
Douces que leur laine blanche.
Tout l’heure dferlait
L’onde, roule en volutes,
De cloches comme des fltes
Dans le ciel comme du lait.
XIV
L’immensit de l’humanit,
Le temps pass vivace et bon pre,
Une entreprise jamais prospre:
Quelle puissante et calme cit!
Il semble ici qu’on vit dans l’histoire,
Tout est plus fort que l’homme d’un jour,
De lourds rideaux d’atmosphre noire
Font richement la nuit alentour.
O civiliss que civilise
L’Ordre obi, le Respect sacr!
O dans ce champ si bien prpar
Cette moisson de la Seule Eglise!
XV
La mer est plus belle
Que les cathdrales,
Nourrice fidle,
Berceuse de rles,
La mer qui prie
La Vierge Marie!
Elle a tous les dons
Terribles et doux.
J’entends ses pardons
Gronder ses courroux.
Cette immensit
N’a rien d’entt.
O! si patiente,
Mme quand mchante!
Un souffle ami hante
La vague, et nous chante:
‘Vous sans esprance,
Mourez sans souffrance!’
Et puis sous les cieux
Qui s’y rient plus clairs,
Elle a des airs bleus,
Ross, gris et verts…
Plus belle que tous,
Meilleure que nous!
XVI
La ‘grande ville’. Un tas criard de pierres blanches
O rage le soleil comme en pays conquis.
Tous les vices ont leur tanire, les exquis
Et les hideux, dans ce dsert de pierres blanches.
Des odeurs! Des bruits vains! O que vague le coeur,
Toujours ce poudroiement vertigineux de sable,
Toujours ce remuement de la chose coupable
Dans cette solitude o s’coeure le coeur!
De prs, de loin, le Sage aura sa thbade
Parmi le fade ennui qui monte de ceci,
D’autant plus pre et plus sanctifiante aussi
Que deux parts de son me y pleurent, dans ce vide!
XVII
Toutes les amours de la terre
Laissant au coeur du dltre
Et de l’affreusement amer,
Fraternelles et conjugales,
Paternelles et filiales,
Civiques et nationales,
Les charnelles, les idales,
Toutes ont la gupe et le ver.
La mort prend ton pre et ta mre,
Ton frre trahira son frre,
Ta femme flaire un autre poux,
Ton enfant, on te l’aline,
Ton peuple, il se pille ou s’enchane
Et l’tranger y pond sa haine,
Ta chair s’irrite et tourne obscne,
Ton me flue en rves fous.
Mais, dit Jsus, aime, n’importe!
Puis de toute illusion morte
Fais un cortge, forme un choeur,
Va devant, tel aux champs le ptre,
Tel le coryphe au thtre,
Tel le vrai prtre ou l’idoltre,
Tels les grands-parents prs de l’tre,
Oui, que devant aille ton coeur!
Et que toutes ces voix dolentes
S’lvent rapides ou lentes,
Aigres ou douces, composant
A la gloire de Ma souffrance
Instrument de ta dlivrance,
Condiment de ton esprance
Et mets de la propre navrance.
L’hymne qui te sied prsent!
XVIII
Sainte Thrse veut que la Pauvret soit
La reine d’ici-bas, et littralement!
Elle dit peu de mots de ce gouvernement
Et ne s’arrte point aux dtails de surcrot,
Mais le Point, son sens, celui qu’il faut qu’on voie
Et croie, est ceci dont elle la complimente:
Le libre arbitre pse, argu et parlemente,
Puis le pauvre-de-coeur dcide et suit sa voie.
Qui l’en empchera? De voeux il n’en a plus
Que celui d’tre un jour au nombre des lus,
Tout-puissant serviteur, tout-puissant souverain,
Prodigue et ddaigneux, sur tous, des choses eues,
Mais accumulateur des seules choses sues,
De quel si fier sujet, et libre, quelle reine!
XIX
Parisien, mon frre jamais tonn,
Montons sur la colline o le soleil est n
Si glorieux qu’il fait comprendre l’idoltre,
Sous cette perspective inconnue au thtre,
D’arbres au vent et de poussire d’ombre et d’or.
Montons. Il est si frais encor, montons encor.
L! nous voil placs comme dans une ‘loge
De face’, et le dcor vraiment tire un loge.
La cathdrale norme et le beffroi sans fin,
Ces toits de tuile sous ces verdures, le vain
Appareil des remparts pompeux et grands quand mme,
Ces clochers, cette tour, ces autres, sur l’or blme
Des nuages l’ouest rverbrant l’or dur
De derrire chez nous, tous ces lourds joyaux sur
Ces ouates, n’est-ce pas, l’crin vaut le voyage,
Et c’est ce qu’on peut dire un brin de paysage?
—Mais descendons, si ce n’est pas trop abuser
De vos pieds las, fin seule de reposer
Vos yeux qui n’ont jamais rien vu que Montmartre,
—‘Campagne’ vert de plaie et ville blanc de dartre
(Et les sombres parfums qui grimpent de Pantin!)—
Donc, par ce lent sentier de rose et de thym,
Cheminons vers la ville au long de la rivire,
Sous les frais peupliers, dans la fine lumire.
L’une des portes ouvre une rue, entrons-y.
Aussi bien, c’est le point qu’il faut, l’endroit choisi:
Si blanches, les maisons anciennes, si bien faites,
Point hautes, a et l des bronches sur leurs fates,
Si doux et sinueux le cours de ces maisons,
Comme un ruisseau parmi de vagues frondaisons,
Profilant la lumire et l’ombre en broderies
Au lieu du long ennui de vos haussmanneries,
Et si gentil l’accent qui confine au patois
De ces passants nafs avec leurs yeux matois!…
Des places ivres d’air et de cris d’hirondelles
O l’histoire proteste en formules fidles
A la crte des toits comme au fer des balcons,
Des portes ne tournant qu’ regret sur leurs gonds,
Jalouses de garder l’honneur et la famille…
Ici tout vit et meurt calme, rien ne fourmille,
Le ‘Thtre’ fait four, et ce dieu des brouillons.
Le ‘Journal’ n’en est plus compter ses bouillons,
L’amour mme prtend conserver ses noblesses
Et le vice se gobe en de rares drlesses.
Enfin rien de Paris, mon frre ‘dans nos murs’.
Que les modes… d’hier, et que les fruits bien mrs
De ce fameux progrs que vous mangez en herbe.
Du reste on vit l’aise. Une chre superbe,
La raison raisonnable et l’esprit des aeux,
Beaucoup de sain travail, quelques loisirs joyeux,
Et ce besoin d’avoir peur de la grande route!
Avouez, la province est bonne, somme toute,
Et vous regrettez moins que tantt la ‘splendeur’
Du vieux monstre, et son pouls fbrile, et cette odeur!
XX
C’est la fte du bl, c’est la fte du pain
Aux chers lieux d’autrefois revus aprs ces choses!
Tout bruit, la nature et l’homme, dans un bain
De lumire si blanc que les ombres sont roses.
L’or des pailles s’effondre au vol siffleur des faux
Dont l’clair plonge, et va luire, et se rverbre.
La plaine, tout au loin couverte de travaux,
Change de face chaque instant, gaie et svre.
Tout halte, tout n’est qu’effort et mouvement
Sous le soleil, tranquille auteur des moissons mres,
Et qui travaille encore imperturbablement
A gonfler, sucrer l-bas les grappes sures.
Travaille, vieux soleil, pour le pain et le vin,
Nourris l’homme du lait de la terre, et lui donne
L’honnte verre o rit un peu d’oubli divin.
Moissonneurs, vendangeurs l-bas votre heure est bonne!
Car sur la fleur des pains et sur la fleur des vins,
Fruit de la force humaine en tous lieux rpartie,
Dieu moissonne, et vendange, et dispose ses fins
La Chair et le Sang pour le calice et l’hostie!
JADIS ET NAGURE
JADIS
PROLOGUE
En route, mauvaise troupe!
Partez, mes enfants perdus!
Ces loisirs vous taient dus!
La Chimre tend sa croupe.
Partez, grimps sur son dos,
Comme essaime un vol de rves
D’un malade dans les brves
Fleurs vagues de ses rideaux.
Ma main tide qui s’agite
Faible encore, mais enfin
Sans fivre, et qui ne palpite
Plus que d’un effort divin,
Ma main vous bnit, petites
Mouches de mes soleils noirs
Et de mes nuits blanches. Vites,
Partez, petits dsespoirs,
Petits espoirs, douleurs, joies,
Que ds hier renia
Mon coeur qutant d’autres proies…
Allez, aeigri somnia.
SONNETS ET AUTRES VERS
A la louange de Laure et de Ptrarque.
Chose italienne o Shakspeare a pass
Mais que Ronsard fit superbement franaise,
Fine basilique au large diocse,
Saint-Pierre-des-Vers, immense et condens,
Elle, ta marraine, et Lui qui t’a pens,
Dogme entier toujours debout sous l’exgse
Mme edmondschresque ou francisquesarceyse,
Sonnet, force acquise et trsor amass,
Ceux-l sont trs bons et toujours vnrables,
Ayant procur leur luxe aux misrables
Et l’or fou qui sied aux pauvres glorieux,
Aux potes fiers comme les gueux d’Espagne,
Aux vierges qu’exalte un rythme exact, aux yeux
pris d’ordre, aux coeurs qu’un voeu chaste accompagne.
PIERROT
A Lon Valade.
Ce n’est plus le rveur lunaire du vieil air
Qui riait aux aeux dans les dessus de portes,
Sa gat, comme sa chandelle, hlas! est morte,
Et son spectre aujourd’hui nous hante, mince et clair.
Et voici que parmi l’effroi d’un long clair
Sa ple blouse l’air, au vent froid qui l’emporte,
D’un linceul, et sa bouche est bante, de sorte
Qu’il semble hurler sous les morsures du ver.
Avec le bruit d’un vol d’oiseaux de nuit qui passe,
Ses manches blanches font vaguement par l’espace
Des signes fous auxquels personne ne rpond.
Ses yeux sont deux grands trous o rampe du phosphore,
Et la farine rend plus effroyable encore
Sa face exsangue au nez pointu de moribond.
KALIDOSCOPE
A Germain Nouveau.
Dans une rue, au coeur d’une ville de rve,
Ce sera comme quand on a dj vcu:
Un instant la fois trs vague et trs aigu…
O ce soleil parmi la brume qui se lve!
O ce cri sur la mer, celle voix dans les bois!
Ce sera comme quand on ignore des causes:
Un lent rveil aprs bien des mtempsycoses:
Les choses seront plus les mmes qu’autrefois
Dans cette rue, au coeur de la ville magique
O des orgues moudront des gigues dans les soirs,
O les cafs auront des chats sur les dressoirs,
Et que traverseront des bandes de musique.
Ce sera si fatal qu’on en croira mourir:
Des larmes ruisselant douces le long des joues,
Des rires sanglots dans le fracas des roues,
Des invocations la mort de venir,
Des mots anciens comme des bouquets de fleurs fanes!
Les bruits aigres des bals publics arriveront,
Et des veuves avec du cuivre aprs leur front,
Paysannes, fendront la foule des tranes
Qui flnent l, causant avec d’affreux moutards
Et des vieux sans sourcils que la dartre enfarine,
Cependant qu’ deux pas, dans des senteurs d’urine,
Quelque fte publique enverra des ptards.
Ce sera comme quand on rve et qu’on s’veille!
Et que l’on se rendort et que l’on rve encor
De la mme ferie et du mme dcor,
L’t, dans l’herbe, au bruit moir d’un vol d’abeille.
INTRIEUR
A grands plis sombres une ample tapisserie
De haute lice, avec emphase descendrait
Le long des quatre murs immenses d’un retrait
Mystrieux o l’ombre au luxe se marie.
Les meubles vieux, d’toffe clatante fltrie,
Le lit entr’aperu vague comme un regret,
Tout aurait l’attitude et l’ge du secret,
Et l’esprit se perdrait en quelque allgorie.
Ni livres, ni tableaux, ni fleurs, ni clavecins,
Seule, travers les fonds obscurs, sur des coussins,
Une apparition bleue et blanche de femme
Tristement sourirait—inquitant tmoin—
Au lent cho d’un chant lointain d’pithalame.
Dans une obsession de musc et de benjoin.
DIZAIN MIL HUIT CENT TRENTE
Je suis n romantique et j’eusse t fatal
En un frac trs troit aux boutons de mtal,
Avec ma barbe en pointe et mes cheveux en brosse.
Hablant espaol, trs loyal et trs froce,
L’oeil idoine l’oeillade et charg de dfis.
Beauts mises mal et bourgeois dconfits
Eussent bond ma vie et sol mon coeur d’homme.
Ple et jaune, d’ailleurs, et taciturne comme
Un enfant scrofuleux dans un Escurial…
Et puis j’eusse t si froce et si loyal!
A HORATIO
Ami, le temps n’est plus des guitares, des plumes,
Des cranciers, des duels hilares propos
De rien, des cabarets, des pipes aux chapeaux
Et de cette gat banale o nous nous plmes.
Voici venir, ami trs tendre, qui t’allumes
Au moindre d pip, mon doux briseur de pots,
Horatio, terreur et gloire des tripots,
Cher diseur de jurons remplir cent volumes,
Voici venir parmi les brumes d’Elseneur
Quelque chose de moins plaisant, sur mon honneur,
Qu’Ophlia, l’enfant aimable qui s’tonne.
C’est le spectre, le spectre imprieux! Sa main
Montre un but et son oeil claire et son pied tonne,
Hlas! et nul moyen de remettre demain!
SONNET BOITEUX
A Ernest Delahaye.
Ah! vraiment c’est triste, ah! vraiment a finit trop mal.
Il n’est point permis d’tre ce point infortun.
Ah! vraiment c’est trop la mort du naf animal
Qui voit tout son sang couler sous son regard fan.
Londres fume et crie. O quelle ville de la Bible!
Le gaz flambe et nage et les enseignes sont vermeilles.
Et les maisons dans leur ratatinement terrible
pouvantent comme un snat de petites vieilles.
Tout l’affreux pass saute, piaule, miaule et glapit
Dans le brouillard rose et jaune et sale des sohos
Avec des indeeds et des all rights et des hos.
Non vraiment c’est trop un martyre sans esprance,
Non vraiment cela finit trop mal, vraiment c’est triste:
O le feu du ciel sur cette ville de la Bible!
LE CLOWN
A Laurent Tailhade.
Bobche, adieu! bonsoir, Paillasse! arrire, Gille!
Place, bouffons vieillis, au parfait plaisantin,
Place! trs grave, trs discret et trs hautain,
Voici venir le matre tous, le clown agile.
Plus souple qu’Arlequin et plus brave qu’Achille,
C’est bien lui, dans sa blanche armure de satin,
Vides et clairs ainsi que des miroirs sans tain,
Ses yeux ne vivent pas dans son masque d’argile.
Ils luisent bleus parmi le fard et les onguents,
Cependant que la tte et le buste, lgants,
Se balancent par l’arc paradoxal des jambes.
Puis il sourit. Autour le peuple bte et laid,
La canaille puante et sainte des Iambes,
Acclame l’histrion sinistre qui la hait.
crit sur l’Album de Mme N. de V.
Des yeux tout autour de la tte
Ainsi qu’il est dit dans Murger.
Point trs bonne, un esprit d’enfer
Avec des rires d’alouette.
Sculpteur, musicien, pote
Sont ses htes. Dieux, quel hiver
Nous passmes! Ce fut amer
Et doux. Un sabbat! Une fte!
Ses cheveux, noir tas sauvage o
Scintille un barbare bijou,
La font reine et la font fantoche.
Ayant vu cet ange pervers,
‘Osqu’est mon sonnet?’ dit Arvers
Et Chilpric dit: ‘Sapristoche!’
LE SQUELETTE
A Albert Mrat.
Deux retres saouls, courant les champs, virent parmi
La fange d’un foss profond une carcasse
Humaine dont la faim torve d’un loup fugace
Venait de disloquer l’ossature demi.
La tte, intacte, avait ce rictus ennemi
Qui nous attriste, nous nerve et nous agace.
Or, peu mystiques, nos capitaines Fracasse
Songrent (John Falstaff lui-mme en et frmi)
Qu’ils avaient bu, que tout vin bu filtre et s’goutte,
Et qu’en outre ce mort avec son chef bant
Ne serait pas fch dboire aussi, sans doute.
Mais comme il ne faut pas insulter au Nant,
Le squelette s’tant dress sur son sant
Fit signe qu’ils pouvaient continuer leur route.
A Albert Mrat.
Et nous voil trs doux la btise humaine,
Lui pardonnant vraiment et mme un peu touchs
De sa candeur extrme et des torts trs lgers
Dans le fond qu’elle assume et du train qu’elle mne.
Pauvres gens que les gens! Mourir pour Climne,
pouser Anglique ou venir de nuit chez
Agns et la briser, et tous les sots pchs,
Tel est l’Amour encor plus faible que la Haine!
L’Ambition, l’Orgueil, des tours dont vous tombez,
Le Vin, qui vous imbibe et vous tord imbibs,
L’Argent, le Jeu, le Crime, un tas de pauvres crimes!
C’est pourquoi, mon trs cher Mrat, Mrat et moi,
Nous tant dpouills de tout banal moi,
Vivons clans un dandysme pris des seules Rimes!
ART POTIQUE
A Charles Morice.
De la musique avant toute chose,
Et pour cela prfre l’Impair
Plus vague et plus soluble dans l’air,
Sans rien en lui qui pse ou qui pose.
Il faut aussi que tu n’ailles point
Choisir tes mots sans quelque mprise:
Rien de plus cher que la chanson grise
O l’Indcis au Prcis se joint.
C’est des beaux yeux derrire les voiles,
C’est le grand jour tremblant de midi,
C’est, par un ciel d’automne attidi,
Le bleu fouillis des claires toiles!
Car nous voulons la Nuance encor,
Pas la Couleur, rien que la nuance!
Oh! la nuance seule fiance
Le rve au rve et la flte au cor!
Fuis du plus loin la Pointe assassine,
L’Esprit cruel et le rire impur,
Qui font pleurer les yeux de l’Azur,
Et tout cet ail de basse cuisine!
Prends l’loquence et tords-lui son cou!
Tu feras bien, en train d’nergie,
De rendre un peu la Rime assagie.
Si l’on n’y veille, elle ira jusqu’o?
O qui dira les torts de la Rime!
Quel enfant sourd ou quel ngre fou
Nous a forg ce bijou d’un sou
Qui sonne creux et faux sous la lime?
De la musique encore et toujours!
Que ton vers soit la chose envole
Qu’on sent qui fuit d’une me en alle
Vers d’autres cieux d’autres amours.
Que ton vers soit la bonne aventure
parse au vent crisp du matin
Qui va fleurant la menthe et le thym…
Et tout le reste est littrature.
LE PITRE
Le trteau qu’un orchestre emphatique secoue
Grince sous les grands pieds du maigre baladin
Qui harangue non sans finesse et sans ddain
Les badauds pitinant devant lui dans la boue.
Le pltre de son front et le fard de sa joue
Font merveille. Il prore et se tait tout soudain,
Reoit des coups de pieds au derrire, badin
Baise au cou sa commre norme, et fait la roue.
Ses boniments de coeur et d’me, approuvons-les.
Son court pourpoint de toile fleurs et ses mollets
Tournants jusqu’ l’abus valent que l’on s’arrte.
Mais ce qui sied tous d’admirer, c’est surtout
Cette perruque d’o se dresse sur la tte,
Preste, une queue avec un papillon au bout.
ALLGORIE
A Jules Valadon.
Despotique, pesant, incolore, l’t,
Comme un roi fainant prsidant un supplice,
S’tire par l’ardeur blanche du ciel complice
Et bille. L’homme dort loin du travail quitt.
L’alouette, au matin, lasse n’a pas chant.
Pas un nuage, pas un souffle, rien qui plisse.
Ou ride cet azur implacablement lisse
O le silence bout dans l’immobilit.
L’pre engourdissement a gagn les cigales
Et sur leur lit troit de pierres ingales
Les ruisseaux moiti taris ne sautent plus.
Une rotation incessante de moires
Lumineuses tend ses flux et ses reflux…
Des gupes, a et l volent, jaunes et noires.
L’AUBERGE
A Jean Moras.
Murs blancs, toit rouge, c’est l’Auberge frache au bord
Du grand chemin poudreux o le pied brle et saigne,
L’Auberge gaie avec le Bonheur pour enseigne.
Vin bleu, pain tendre, et pas besoin de passeport.
Ici l’on fume, ici l’on chante, ici l’on dort.
L’hte est un vieux soldat, et l’htesse, qui peigne
Et lave dix marmots roses et pleins de teigne,
Parle d’amour, de joie et d’aise, et n’a pas tort!
La salle au noir plafond de poutres, aux images
Violentes, Maleck Adel et les Rois Mages,
Vous accueille d’un bon parfum de soupe aux choux.
Entendez-vous? C’est la marmite qu’accompagne
L’horloge du tic-tac allger de son pouls.
Et la fentre s’ouvre au loin sur la campagne.
CIRCONSPECTION
A Gaston Snchal.
Donne ta main, retiens ton souffle, asseyons-nous
Sous cet arbre gant o vient mourir la brise
En soupirs ingaux sous la ramure grise
Que caresse le clair de lune blme et doux.
Immobiles, baissons nos yeux vers nos genoux.
Ne pensons pas, rvons. Laissons faire leur guise
Le bonheur qui s’enfuit et l’amour qui s’puise,
Et nos cheveux frls par l’aile des hiboux.
Oublions d’esprer. Discrte et contenue,
Que l’me de chacun de nous deux continue
Ce calme et cette mort sereine du soleil.
Restons silencieux parmi la paix nocturne:
Il n’est pas bon d’aller troubler dans son sommeil
La nature, ce dieu froce et taciturne.
VERS POUR TRE CALOMNI
A Charles Vignier.
Ce jour je m’tais pench sur ton sommeil.
Tout ton corps dormait chaste sur l’humble lit,
Et j’ai vu, comme un qui s’applique et qui lit,
Ah! j’ai vu que tout est vain sous le soleil!
Qu’on vive, quelle dlicate merveille,
Tant notre appareil est une fleur qui plie!
O pense aboutissant la folie!
Va, pauvre, dors, moi, l’effroi pour toi m’veille.
Ah! misre de t’aimer, mon frle amour
Qui vas respirant comme on respire un jour!
O regard ferm que la mort fera tel!
O bouche qui ris en songe sur ma bouche,
En attendant l’autre rire plus farouche!
Vite, veille-toi! Dis, l’me est immortelle?
LUXURES
A Lor Trzenik.
Chair! seul fruit mordu des vergers d’ici-bas,
Fruit amer et sucr qui jutes aux dents seules
Des affams du seul amour, bouches ou gueules,
Et bon dessert des forts, et leurs joyeux repas,
Amour! le seul moi de ceux que n’meut pas
L’horreur de vivre, Amour qui presses sous tes meules
Les scrupules des libertins et des bgueules
Pour le pain des damns qu’lisent les sabbats,
Amour, tu m’apparais aussi comme un beau ptre
Dont rve la fileuse assise auprs de l’tre
Les soirs d’hiver dans la chaleur d’un sarment clair,
Et la fileuse, c’est la Chair et l’heure tinte
O le rve teindra la rveuse,—heure sainte
Ou non! qu’importe votre extase, Amour et Chair?
VENDANGES
A Gorges Rall.
Les choses qui chantent dans la tte
Alors que la mmoire est absente,
coutez! c’est notre sang qui chante…
O musique lointaine et discrte!
coutez! c’est notre sang qui pleure
Alors que notre me s’est enfuie
D’une voix jusqu’alors inoue
Et qui va se taire tout l’heure.
Frre du sang de la vigne rose,
Frre du vin de la veine noire,
O vin, sang, c’est l’apothose!
Chantez, pleurez! Chassez la mmoire
Et chassez l’me, et jusqu’aux tnbres
Magntisez nos pauvres vertbres.
IMAGES D’UN SOU
A Lon Dierx.
De toutes les douleurs douces
Je compose mes magies!
Paul, les paupires rougies,
Erre seul aux Pamplemousses.
La Folle-par-amour chante
Une ariette touchante.
C’est la mre qui s’alarme
De sa fille fiance.
C’est l’pouse dlaisse
Qui prend un svre charme
A s’exagrer l’attente
Et demeure palpitante.
C’est l’amiti qu’on nglige
Et qui se croit mconnue.
C’est toute angoisse ingnue,
Cest tout bonheur qui s’afflige:
L’enfant qui s’veille et pleure,
Le prisonnier qui voit l’heure,
Les sanglots des tourterelles,
La plainte des jeunes filles.
C’est l’appel des Insilles,
—Que gardent dans des tourelles
De bons vieux oncles avares—
A tous sonneurs de guitares.
Voici Damon qui soupire
La tendresse Genevive
De Brabant qui fait ce rve
D’exercer un chaste empire
Dont elle-mme se pme
Sur la veuve de Pyrame
Tout exprs ressuscite,
Et la fort des Ardennes
Sent circuler dans ses veines
La flamme perscute
De ces princesses errantes
Sous les branches murmurantes,
Et madame Malbrouck monte
A sa tour pour mieux entendre
La viole et la voix tendre
De ce cher trompeur de Comte
Ory qui vient d’Espagne
Sans qu’un doublon l’accompagne.
Mais il s’est couvert de gloire
Aux gorges des Pyrnes
Et combien d’infortunes
Au teint de lis et d’ivoire
Ne fit-il pas tous risques
L-bas, parmi les Morisques!…
Toute histoire qui se mouille
De dlicieuses larmes,
Ft-ce travers, des chocs d’armes,
Aussitt chez moi s’embrouille,
Se mle d’autres encore,
Finalement s’vapore
En capricieuses nues,
Laissant travers des filtres
Subtiles talismans et philtres
Au fin fond de mes cornues
Au feu de l’amour rougies.
Accourez mes magies!
C’est trs beau. Venez d’aucunes
Et d’aucuns. Entrez, bagasse!
Cadet-Roussel est paillasse
Et vous dira vos fortunes.
C’est Crdit qui tient la caisse.
Allons vite qu’on se presse!
LES UNS ET LES AUTRES
COMDIE DDIE A
Thodore de Banville.
PERSONNAGES:
MYRTIL
SYLVANDRE
ROSALINDE
CHLORIS
MEZZETIN
GORYDON
AMINTE
BERGERS, MASQUES.
La scne se passe dans un parc de Wateau, vers une fin d’aprs-midi d’t.
Une nombreuse compagnie d’hommes et de femmes est groupe, en de nonchalantes attitudes, autour d’un chanteur costum en Mezzetin, qui s’accompagne doucement sur une mandoline.
SCNE I
MEZZETIN, chantant.
Puisque tout n’est rien que fables,
Hormis d’aimer ton dsir,
Jouis vite du loisir
Que te font des dieux affables.
Puisqu’ ce point se trouva
Facile ta destine,
Puisque vers toi ramene
L’Arcadie est proche,—va!
Va! le vin dans les feuillages
Fait clater les beaux yeux
Et battre les coeurs joyeux
A l’troit sous les corsages…
CORYDON
A l’exemple de la cigale nous avons
Chant…
AMINTE
Si nous allions danser?
Tous, moins Myrtil, Rosalinde, Sylvandre et Chloris.
Nous vous suivons!
(Ils sortent l’exception des mmes.)
SCNE II
MYRTIL, ROSALINDE, SYLVANDRE, CHLORIS
ROSALINDE, Myrtil.
Restons.
CHLORIS, Sylvandre.
Favoris, vous pouvez dire l’tre:
J’aime la danse m’en jeter par la fentre,
Et si je ne vais pas sur l’herbette avec eux,
C’est bien pour vous!
(Sylvandre la presse.)
Paix l! Que vous tes fougueux!
(Sortent Sylvandre et Chloris.)
SCNE III
MYRTIL, ROSALINDE
ROSALINDE
Parlez-moi.
MYRTIL
De quoi voulez-vous donc que je cause?
Du pass? Cela vous ennuierait, et pour cause.
Du prsent? A quoi bon, puisque nous y voil?
De l’avenir? Laissons en paix ces choses-l!
ROSALINDE
Parlez-moi du pass.
MYRTIL
Pourquoi?
ROSALINDE
C’est mon caprice.
Et fiez-vous la mmoire adulatrice
Qui va teinter d’azur les plus mornes jadis
Et masque les enfers anciens en paradis.
MYRTIL
Soit donc! J’voquerai, ma chre, pour vous plaire,
Ce morne amour qui fut, hlas! notre chimre,
Regrets sans fin, ennuis profonds, poignants remords,
Et toute la tristesse atroce dos jours morts,
e dirai nos plus beaux espoirs dus sans cesse,
Ces deux coeurs dvous jusques la bassesse
Et soumis l’un l’autre, et puis, finalement,
Pour toute rcompense et tout remerciement,
Navrs, martyriss, bafous l’un par l’autre,
Ma folle jalousie treinte par la vtre,
Vos soupons compltant l’horreur de mes soupons,
Toutes vos trahisons, toutes mes trahisons!
Oui, puisque ce pass vous flatte et vous agre.
Ce pass que je lis trac comme la craie
Sur le mur tnbreux du souvenir, je veux,
Ce pass tout entier, avec ses dsaveux
Et ses explosions de pleurs et de colre,
Vous le redire, afin, ma chre, de vous plaire!
ROSALINDE
Savez-vous que je vous trouve admirable, ainsi
Plein d’indignation lgante?
MYRTIL, irrit.
Merci!
ROSALINDE
Vous vous exagrez aussi par trop les choses.
Quoi! pour un peu d’ennui, quelques heures moroses,
Vous lamenter avec ce courroux enfantin!
Moi je rends grce au dieu qui me fit ce destin
D’avoir aim, d’aimer l’ingrat, d’aimer encore
L’ingrat qui tient de sots discours, et qui m’adore
Toujours, ainsi, qu’il sied d’ailleurs en ce pays
De Tendre. Oui! Car malgr vos regards bahis
Et vos bras de poupe inerte, je suis sre
Que vous gardez toujours ouverte la blessure
Faite par ces yeux-ci, boudeur, ce coeur-l.
MYRTIL, attendri.
Pourtant le jour o cet amour m’ensorcela
Vous fut autant qu’ moi funeste, mon amie.
Croyez-moi, rveiller la tendresse endormie,
C’est tmraire, et mieux vaudrait pieusement
Respecter jusqu’au bout son assoupissement
Qui ne peut que finir par la mort naturelle.
ROSALINDE
Fou! par quoi pouvons-nous vivre, sinon par elle?
MYRTIL, sincre.
Alors, mourons!
ROSALINDE
Vivons plutt! Ft-ce tout prix!
Quant moi, vos aigreurs, vos fureurs, vos mpris,
Qui ne sont, je le sais, qu’un dpit phmre,
Et cet orgueil qui rend votre parole amre,
J’en veux faire litire mon amour ttu,
Et je vous aimerai quand mme, m’entends-tu?
MYRTIL
Vous tes mutine…
ROSALINDE
Allons, laissez-vous faire!
MYRTIL, cdant.
Donc, il le faut!
ROSALINDE
Venez cueillir la primevre
De l’amour renaissant timide aprs l’hiver.
Quittez ce front chagrin, souriez comme hier
A ma tendresse entire et grande, encor qu’ancienne!
MYRTIL
Ah! toujours tu m’auras men, magicienne!
(Ils sortent. Rentrent Sylvandre et Chloris.)
SCNE IV
SYLVANDRE, CHLORIS
CHLORIS, courant.
Non!
SYLVANDRE
Si!
CHLORIS
Je ne veux pas…
SYLVANDRE, la baisant sur la nuque.
Dites: je ne veux plus!
(La tenant embrasse.)
Mais voici, j’ai fix vos voeux irrsolus
Et le milan affreux tient la pauvre hirondelle.
CHLORIS
Fi! l’action vilaine! Au moins rougissez d’elle!
Mais non! Il rit, il rit!
(Pleurnichant pour rire.)
Ah, oh, hi, que c’est mal!
SYLVANDRE
Tarare! mais le seul tat vraiment normal,
C’est le ntre, c’est, fous l’un de l’autre, gais, libres,
Jeunes, et mprisant tous autres quilibres
Quelconques, qui ne sont que cloche-pieds piteux,
D’avoir deux coeurs pour un, et, chre me, un pour deux!
CHLORIS
Que voil donc, Monsieur l’amant, de beau langage!
Vous tes procureur ou pote, je gage,
Pour ainsi discourir, sans rire, obscurment.
SYLVANDRE
Vous vous moquez avec un babil trs charmant,
Et me voici deux fois pris de ma conqute:
Tant d’clat en vos yeux jolis, et dans la tte
Tant d’esprit! Du plus fin encore, s’il vous plat.
CHLORIS
Et si je vous trouvais par hasard bte et laid,
Fier conqurant fictif, grand vainqueur en peinture?
SYLVANDRE
Alors, n’eussiez-vous pas arrt l’aventure
De tantt, qui semblait exclure tout dgot
Conu par vous, mon dtriment, aprs tout?
CHLORIS
O la fatuit des hommes qu’on n’vince
Pas sur-le-champ! Allez, allez, la preuve est mince
Que vous invoquez l d’un penchant prsum
De mon coeur pour le vtre, aspirant bien-aim.
—Au fait, chacun de nous vainement dblatre
Et, tenez, je vais dire mon caractre,
Pour qu’tant la fin bien au courant de moi
Si vous souffrez, du moins vous connaissiez pourquoi,
Sachez donc…
SYLVANDRE
Que je meure ici, ma toute belle,
Si j’exige…
CHLORIS
—Sachez d’abord vous taire.—Or celle
Qui vous parle est coquette et folle. Oui, je le suis.
J’aime les jours lgers et les frivoles nuits,
J’aime un ruban qui m’aille, un amant qui me plaise,
Pour les bien dtester aprs tout mon aise.
Vous, par exemple, vous, Monsieur, que je n’ai pas
Nagure tout fait trait de haut en bas,
Me dussiez-vous tenir pour la pire pcore,
Eh bien, je ne sais pas si je vous souffre encore!
SYLVANDRE, souriant.
Dans le doute…
CHLORIS, coquette, s’enfuyant.
‘Abstiens-toi’, dit l’autre. Je m’abstiens.
SYLVANDRE, presque naf.
Ah! c’en est trop, je souffre et je m’en vais pleurer.
CHLORIS, touche, mais gaie.
Viens,
Enfant, mais souviens-toi que je suis infidle
Souvent, ou bien plutt, capricieuse. Telle
Il faut me prendre. Et puis, voyez-vous, nous voici
Tous deux bien amoureux,—car je vous aime aussi,—
L! voil le gros mot lch! Mais…
SYLVANDRE
O cruelle
Rticence!
CHLORIS
Attendez la fin, pauvre cervelle.
Mais, dirai-je, malgr tous nos transports et tous
Nos serments mutuels, solennels, et jaloux
D’tre ternels, un dieu malicieux prside
Aux autels de Paphos—
(Sur un geste de dngation de Sylvandre.)
C’est un fait—et de Gnide.
Telle est la loi qu’Amour nos coeurs rvla.
L’on n’a pas plutt dit ceci qu’on fait cela.
Plus tard on se repend, c’est vrai, mais le parjure
A des ailes, et comme il perdrait sa gageure
Celui qui poursuivrait un mensonge envol!
Qu’y faire? Promener son souci dsol,
Bras ballants, yeux rougis, la tle dcoiffe,
A travers monts et vaux, ainsi qu’une autre Orphe,
Gonfler l’air de soupirs et l’Ocan de pleurs
Par l’indiscrtion de bavardes douleurs?
Non, cent fois non! Plutt aimer l’aventure
Et ne demander pas l’impossible Nature!
Nous voici, venez-vous de dire, bien pris
L’un et l’autre, soyons heureux, faisons mpris
De tout ce qui n’est pas notre douce folie!
Deux coeurs pour un, un coeur pour deux… je m’y rallie,
Me voici vtre, tienne!… tes-vous rassur?
Tout l’heure j’avais mille fois tort, c’est vrai,
D’ainsi bouder un coeur offert de bonne grce,
Et c’est moi qui reviens vous, de guerre lasse.
Donc aimons-nous. Prenez mon coeur avec ma main,
Mais, pour Dieu, n’allons pas songer au lendemain,
Et si ce lendemain doit ne pas tre aimable,
Sachons que tout bonheur repose sur le sable,
Qu’en amour il n’est pas de malhonntes gens,
Et surtout soyons-nous l’un l’autre indulgents.
Cela vous plat?
SYLVANDRE
Cela me plairait si…
SCNE V
LES PRCDENTS, MYRTIL
MYRTIL, survenant.
Madame
A raison. Son discours serait l’pithalame
Que j’eusse profr si…
CHLORIS
Cela fait deux ‘si’,
C’est un de trop.
MYRTIL, Chloris.
Je pense absolument ainsi
Que vous.
CHLORIS, Sylvandre.
Et vous, Monsieur?
SYLVANDRE
La vrit m’oblige…
CHLORIS, au mme.
Et quoi, monsieur, dj si tide!
MYRTIL, Chloris.
L’homme-lige
Qu’il vous faut, Chloris. c’est moi…
SCNE VI
LES PRCDENTS, ROSALINDE
ROSALINDE, survenant.
Salut! je suis
Alors, puisqu’il le faut dcidment, depuis
Tous ces tonnements o notre coeur se joue,
A votre chariot la cinquime roue.
(A Myrtil.)
Je vous rends vos serments anciens et les nouveaux
Et les rcents, les vrais aussi bien-que les faux.
MYRTIL, au bras de Chloris et protestant comme par manire d’acquit.
Chre!
ROSALINDE
Vous n’avez pas besoin de vous dfendre,
Car me voici l’amie intime de Sylvandre.
SYLVANDRE, ravi, surpris et lger.
O doux Charybde aprs un aimable Scylla!
Mais celle-ci va faire ainsi que celle-l
Sans doute, et toutes deux, adorables coquettes
Dont les caprices sont bel et bien des raquettes,
Joueront avec mon coeur, je le crains, au volant.
CHLORIS, Sylvandre.
Fat!
ROSALINDE, au mme.
Ingrat!
MYRTIL, au mme.
Insolent!
SYLVANDRE, Myrtil.
Quand cet ‘insolent’,
Ami cher, mes griefs sont au moins rciproques,
Et, s’il est vrai que nous te vexions, tu nous choques.
(A Rosalinde et Chloris.)
Mesdames, je suis votre esclave toutes deux,
Mais mon coeur qui se cabre aux chemins hasardeux
Est un mchant cheval rfractaire la bride,
Qui devant tout pril connu s’enfuit, rapide,
A tous crins, s’allt-il rompre le col plus loin.
(A Rosalinde.)
Or, donc, si vous avez, Rosalinde, besoin
Pour un voyage au bleu pays des fantaisies
D’un franc coursier, gourmand de provendes choisies
Et quelque peu fringant, mais jamais rebut,
Chevauchez loisir ma bonne volont.
MYRTIL
La dclaration est un tant soit peu roide,
Mais, bah! chat chaud craint l’eau, ft-elle froide,
(A Rosalinde)
N’est-ce pas, Rosalinde, et vous le savez bien,
Que ce chat-l surtout, c’est moi.
ROSALINDE
Je ne sais rien.
MYRTIL
Et puisqu’en ce conflit o chacun se rebiffe
Chloris aussi veut bien m’avoir pour hippogriffe
De ses rves devers la lune ou bien ailleurs,
Me voici tout brid, couvert d’ailleurs de fleurs
Charmantes aux odeurs puissantes et divines
Dont je sentirai tt ou lard les pines,
(A Chloris)
Madame, n’est-ce pas?
CHLORIS
Taisez-vous et m’aimez.
Adieu, Sylvandre!
ROSALINDE
Adieu, Myrtil!
MYRTIL, Rosalinde.
Est-ce jamais?
SYLVANDRE, Chloris.
C’est pour toujours!
ROSALINDE
Adieu, Myrtil!
CHLORIS
Adieu, Sylvandre!
(Sortent Sylvandre et Rosalinde).
SCNE VII
MYRTIL, CHLORIS
CHLORIS
C’est donc que vous avez de l’amour revendre
Pour, le joug d’une amante irrite cart,
Vous tourner aussitt vers ma faible beaut?
MYRTIL
Croyez-vous qu’elle soit ce point offense?
CHLORIS
Qui? ma beaut?
MYRTIL
Non. L’autre…
CHLORIS
Ah!—J’avais la pense
Bien autre part, je vous l’avoue, et m’attendais
A quelque madrigal un peu compliqu, mais
Sans doute, vous voulez parler de Rosalinde
Et de courroux auquel son coeur crisp se guinde…
N’en doutez pas, elle est vexe horriblement.
MYRTIL
En tes-vous bien sre?
CHLORIS
Ah! a, pour un amant
Tout rcemment lu, sur sa chaude supplique
Encore! et clans un tel concours mlancolique
Malgr qu’un tant soit peu plaisant d’vnements,
Ne pouvez-vous pas mieux employer les moments
Premiers de nos premiers amours, cher Thse,
Qu’ vous proccuper d’Ariane laisse?
—Mais taisons cela, quitte plus lard en parler.—
Eh oui, l je vous jure, ne vous rien cler,
Que Rosalinde prise encor d’un infidle,
Trpigne, peste, enrage, et sa rancoeur est telle
Qu’elle m’en a pris mon Sylvandre de dpit.
MYRTIL
Et vous regrettez fort Sylvandre?
CHLORIS
Mal lui prit,
Que je crois, de tomber sur votre ancienne amie?
MYRTIL
Et pourquoi?
CHLORIS
Faux naf! je ne le dirai mie,
MYRTIL
Mais regrettez-vous fort Sylvandre?
CHLORIS
M’aimez-vous,
Vous?
MYRTIL
Vos yeux sont si beaux, votre…
CHLORIS
tes-vous jaloux
De Sylvandre?
MYRTIL, trs vivement.
O oui!
(Se reprenant.)
Mais au pass, chre belle.
CHLORIS
Allons, un tel aveu, bien que tardif, s’appelle
Une galanterie, et je l’admets ainsi
Donc vous m’aimez?
MYRTIL, distrait, aprs un silence.
O oui!
CHLORIS.
Quel amoureux transi
Vous seriez si d’ailleurs vous l’tiez de moi!
MYRTIL, mme jeu que prcdemment.
Douce
Amie!
CHLORIS
Ah! que c’est froid! ‘Douce amie!’ Il vous trousse
Un compliment banal et prend un air vainqueur!
J’aurai longtemps vos ‘oui’ de tantt sur le coeur.
MYRTIL, indolemment.
Permettez…
CHLORIS
Mais voici Rosalinde et Sylvandre.
MYRTIL, comme rveill en sursaut.
Rosalinde!
CHLORIS
Et Sylvandre. Et quel besoin de fendre
Ainsi l’air de vos bras en faon de moulin?
Ils dbusquent. Tournons vite le terre-plein
Et vidons, s’il vous plat, ailleurs celle querelle.
(Ils sortent.)
SCNE VIII
SYLVANDRE, ROSALINDE
SYLVANDRE
Et voil mon histoire en deux mots.
ROSALINDE
Elle est telle
Que j’y lis l’envers l’histoire de Myrtil.
Par un pressentiment inquiet et subtil
Vous redoutez l’amour qui venait et sa lvre
Aux baisers inconnus encore, et lui qu’enfivre
Le souvenir d’un vieil amour dsenlac,
Stupide autant qu’ingrat, il a peur du pass,
Et tous deux avez tort, allez Sylvandre.
SYLVANDRE
Dites
Qu’il a tort…
ROSALINDE
Non, tous deux, et vous n’tes pas quittes,
Et tous deux souffrirez, et ce sera bien fait.
SYLVANDRE
Aprs tout je ne vois que trs mal mon forfait,
Et j’ignore trs bien quel sera mon martyre.
(Minaudant.)
A moins que votre coeur…
ROSALINDE
Vous avez tort de rire.
SYLVANDRE
Je ne ris pas, je dis posment d’une part
Que je ne crois point tant criminel mon dpart
D’avec Chloris, coquette aimable mais sujette
A caution, et puis, d’autre part, je projette
D’tre heureux avec vous qui m’avez bien voulu
Recueillir quand bris, dsempar, moulu,
Bern par ma matresse et plant l par elle
J’allais probablement me brler la cervelle
Si j’avais eu quelque arme feu sous mes dix doigts.
Oui je vais vous aimer, je le veux (je le dois
En outre), je vais vous aimer la folie…
Donc, arrire regrets, dpit, mlancolie!
Je serai votre chien fal, ton petit loup
Bien doux…
ROSALINDE
Vous avez tort de rire, encore un coup.
SYLVANDRE
Encore un coup, je ne ris pas. Je vous adore,
J’idoltre ta voix si tendrement sonore,
J’aime vos pieds, petits tenir dans la main,
Qui font un bruit mignard et gai sur le chemin
Et luisent, rves blancs, sous les pompons des mules.
Quand les grands yeux, de qui les astres sont mules,
Abaissent jusqu’ nous leurs aimables rayons,
Comparable ces fleurs d’t que nous voyons
Tourner vers le soleil leur fidle corolle,
Lors je tombe en extase et reste sans parole,
Sans vie et sans pense, perdu, fou, hagard,
Devant l’clat charmant et fier de ton regard.
Je frmis ton souffle exquis comme au veut l’herbe,
O ma charmante, ma divine, ma superbe,
Et mon me palpite au bout de tes cils d’or…
—A propos, croyez-vous que Chloris m’aime encor?
ROSALINDE
Et si je le pensais?
SYLVANDRE
Question saugrenue
En effet!
ROSALINDE
Voulez-vous la vrit bien nue?
SYLVANDRE
Non! Que me fait? Je suis un sot, et me voici
Confus, et je vous aime uniquement.
ROSALINDE
Ainsi,
Cela vous est gal qu’il soit patent, palpable,
vident que Chloris vous adore…
SYLVANDRE
Du diable
Si c’est possible! Elle! Elle! Allons donc!
(Soucieux, tout coup, part.)
Hlas!
ROSALINDE
Quoi,
Vous en doutez?
SYLVANDRE
Ce coeur volage suit sa loi,
Elle leurre prsent, Myrtil…
ROSALINDE, passionnment.
Elle le leurre.
Dites-vous? Mais alors il l’aime!…
SYLVANDRE
Que je meure
Si je comprends ce cri jaloux!
ROSALINDE
Ah! taisez-vous!
SYLVANDRE
Un trompeur! une folle!
ROSALINDE
Es-tu donc pas jaloux
De Myrtil, toi, hein, dis?
SYLVANDRE, comme frapp subitement d’une ide douloureuse.
Tiens! la fcheuse ide
Mais c’est qu’oui! me voici l’me tout obsde…
ROSALINDE, presque joyeuse
Ah! vous tes jaloux aussi, je savais bien!
SYLVANDRE, part.
Feignons encor.
(A Rosalinde.)
Je vous jure qu’il n’en est rien
Et si vraiment je suis jaloux de quelque chose,
Le seul Myrtil du temps jadis en est la cause.
ROSALINDE
Trve de compliments fastidieux. Je suis
Trs triste, et vous aussi. Le but que je poursuis
Est le vtre. Causons de nos deuils identiques.
Des malheureux ce sont, il parat, les pratiques,
Cela, dit-on, console. Or nous aimons toujours
Vous Chloris, moi Myrtil, sans espoir de retours
Apparents. Entre nous la seule diffrence
C’est que l’on m’a trahie, et que votre souffrance
A vous vient de vous-mme et n’est qu’un chtiment.
Ai-je tort?
SYLVANDRE
Vous lisez dans mon coeur couramment,
Chre Chloris, je t’ai mchamment mconnue!
Qui me rendra jamais la malice ingnue,
Et la gat si bonne, et ta grce, et ton coeur?
ROSALINDE
Et moi, par un destin bien autrement moqueur,
Je pleure aprs Myrtil infidle…
SYLVANDRE
Infidle!
Mais c’est qu’alors Chloris l’aimerait. O mort d elle!
J’enrage et je gmis! Mais ne disiez-vous pas
Tantt qu’elle m’aimait encore.—O cieux, l-bas,
Regardez, les voil!
ROSALINDE
Qu’est-ce qu’ils vont se dire?
(Ils remontent le thtre.)
SCNE IX
LES PRCDENTS, CHLORIS, MYRTIL
CHLORIS
Allons, encore un peu de franchise, beau sire
Tnbreux. Avouez votre cas tout fait.
Le silence, n’est-il pas vrai? vous touffait,
Et l’obligation banale o vous vous crtes
D’imiter tout bout de champ la voix des fltes
Pour quelque madrigal bien fade mon endroit
Vous touffait, ainsi qu’un pourpoint trop troit?
Votre coeur qui battait pour elle dut me taire
Par politesse et par prudence son mystre,
Mais prsent que j’ai presque tout devin,
Pourquoi continuer ce mutisme obstin?
Parlez d’elle, cela d’abord sera sincre.
Puis vous souffrirez moins, et, s’il est ncessaire
De vous intresser aux souffrances d’autrui,
J’ai besoin en retour de vous parler de lui.
MYRTIL
Et quoi, vous aussi, vous?
CHLORIS
Moi-mme, hlas! moi-mme,
Puis-je encore esprer que mon bien-aim m’aime?
Nous tions tous les deux, Sylvandre, si bien faits
L’un pour l’autre! Quel sort jaloux, quel dieu mauvais
Fit ce malentendu cruel qui nous spare?
Hlas! il fut frivole encor plus que barbare,
Et son esprit surtout fit que son coeur pcha.
MYRTIL
Esprez, car peut-tre il se repent dj,
Si j’en juge d’aprs mes remords…
(Il sanglote.)
Et mes larmes.
(Sylvandre et Rosine se pressent la main.)
ROSALINDE, survenant.
Les pleurs dlicieux! Cher instant plein de charmes!
MYRTIL
C’est affreux!
CHLORIS
O douleur!
ROSALINDE, sur la pointe du pied et trs bas.
Chloris!
CHLORIS
Vous tiez l?
ROSALINDE
Le sort capricieux qui nous dsassembla
A remis, faisant trve son ire inhumaine,
Sylvandre en bonnes mains, et je vous le ramne
Jurant son grand serment qu’on ne l’y prendrait plus.
Est-il trop tard?
SYLVANDRE, Chloris.
O point de refus absolus!
De grce ayez piti quelque peu. La vengeance
Suprme, c’est d’avoir un aspect d’indulgence,
Punissez-moi sans trop de justice et daignez
Ne me point accabler de traits plus indigns
Que n’en mritent,—non mes crimes,—mais ma tte
Folle, mais mon coeur faible et lche…
(Il tombe genoux.).
CHLORIS
tes-vous bte?
Relevez-vous, je suis trop heureuse prsent
Pour vous dire quoi que ce soit de dplaisant,
Et je jette ton cou mes bras de lierre.
Nous nous expliquerons plus tard (Et ma premire
Querelle et mon premier reproche seront pour
L’air de doute dont tu reus mon pauvre amour
Qui, s’il a quelques tours tourdis et frivoles,
N’en est pas moins, par ses apparences folles,
Quelque chose de tout dvou pour toujours).
Donc, chassons ce nuage, et reprenons le cours
De la charmante ivresse o s’exalta notre me.
(A Rosalinde.)
Et quant vous, soyez sre, bonne Madame,
De notre amiti franche, et baisez votre soeur.
(Les deux femmes s’embrassent.)
SYLVANDRE
O si joyeuse avec toute douceur!
ROSALINDE, Myrtil.
Que diriez-vous, Myrtil, si je faisais comme elle?
MYRTIL
Dieu! elle a pardonn, clmente autant que belle.
(A Rosalinde.)
O laissez-moi baiser vos mains pieusement!
ROSALINDE
Voil qui finit bien et c’est un cher moment
Que celui-ci. Sans plus parler de ces tristesses,
Soyons heureux.
(A Chloris et Sylvandre.)
Sachez enlacer vos jeunesses.
Doux amis, et joyeux que vous tes, cueillez
La fleur rouge de vos baisers ensoleills.
(Se tournant vers Myrtil.)
Pour nous, amants anciens sur qui gronde la vie,
Nous vous admirerons sans vous porter envie,
Ayant, nous, nos bonheurs discrets d’aprs-midi,
(Tous les personnages de la scne 1re reviennent
se grouper comme au lever du rideau)
Et voyez, aux rayons du soleil attidi,
Voici tous nos amis qui reviennent des danses
Comme pour recevoir nos belles confidences.
SCNE X
Tous, groups comme ci-dessus.
MEZZETIN, chantant.
Va! sans nul autre souci
Que de conserver ta joie!
Fripe les jupes de soie
Et gote les vers aussi.
La morale la meilleure,
En ce monde o les plus fous
Sont les plus sages de tous,
C’est encor d’oublier l’heure.
Il s’agit de n’tre point
Mlancolique et morose.
La vie est-elle une chose
Grave et ruelle ce point?
(La toile tombe.)
VERS JEUNES
LE SOLDAT LABOUREUR
A Edmond Lepelletier.
Or ce vieillard tait horrible: un de ses yeux,
Crev, saignait, tandis que l’autre, chassieux,
Brutalement luisait sous son sourcil en brosse,
Les cheveux se dressaient d’une faon froce,
Blancs, et paraissaient moins des cheveux que des crins,
Le vieux torse solide encore sur les reins,
Comme au ressouvenir des balles affrontes,
Cambr, contrariait les paules votes,
La main gauche avait l’air de chercher le pommeau
D’un sabre habituel et dont le long fourreau
Semblait, s’embarrassant avec la sabretache,
Gner la marche et vers la tombante moustache
La main droite parfois montait, la rebroussant.
Il tait grand et maigre et jurait en toussant.
Fils d’un garon de ferme et d’une lavandire,
Le service seize ans le prit. Il fit entire
La campagne d’gypte. Austerlitz, Ina,
Le virent. En Espagne un moine l’borgna:
—Il tua le bon pre et lui vola sa bourse,—
Par trois fois traversa la Prusse au pas de course,
En Hesse eut une entaille pouvantable au cou,
Passa brigadier lors de l’entre Moscou,
Obtint la croix et fut de toutes les dfaites
D’Allemagne et de France, et gagna dans ces ftes
Trois blessures, plus un brevet de lieutenant
Qu’il rsigna bientt, les Bourbons revenant,
A Mont-Saint-Jean, bravant la mort qui l’environne.
Dit un mot analogue celui de Cambronne,
Puis, quand pour un second exil et le tombeau,
La Redingote grise et le petit Chapeau
Quittrent jamais leur France tant aime
Et que l’on eut, hlas! dissout la grande arme,
Il revint au village, tonn du clocher.
Presque forc pendant un an de se cacher,
Il braconna pour vivre, et quand des temps moins rudes
L’eurent, sans le rduire trop de platitudes,
Mis mme d’crire en hauts lieux l’effet
D’obtenir un secours d’argent qui lui fut fait,
Logea moyennant deux cents francs par an chez une
Parente qu’il avait, dont toute la fortune
Consistait en un champ cultiv par ses fieux,
L’un mari depuis longtemps et l’autre vieux
Garon encore, et l notre foudre de guerre
Vivait, et bien qu’il ft tout le jour sans rien faire
Et qu’il et la charrue et la terre en horreur,
C’tait ce qu’on appelle un soldat laboureur.
Toujours lev des l’aube et la pipe la bouche
Il allait et venait, engloutissait, farouche,
Des verres d’eau-de-vie et parfois s’enivrait,
Les dimanches tirait l’arc au cabaret,
Aprs dner faisait un quart d’heure sans faute
Sauter sur ses genoux les garons de son hte
Ou bien leur apprenait l’exercice et comment
Un bon soldat ne doit songer qu’au fourniment.
Le soir il voisinait, tantt pinant les filles,
Habitude un peu trop commune aux vieux sondrilles,
Tantt, geste ample et voix forte qui dominait
Le grillon incessant derrire le chent,
Assis auprs d’un feu de sarments qu’on entoure
Confusment disait l’Elster, l’Estramadoure,
Smolensk, Dresde, Lutzen et les ravins vosgeois
Devant quatre ou cinq gars attentifs et narquois
S’exclamant et riant trs fort aux endroits farces.
Canonnade compacte et fusillade parse,
Chevaux ventrs, coups de sabre, prisonniers
Mis mal entre deux batailles, les derniers
Moments d’un officier ajust par derrire,
Qui se souvient et qu’on insulte, la barrire
Clichy, les allis jets au fond des puits,
La fuite sur la Loire et la maraude, et puis
Les femmes que l’on force aprs les villes prises,
Sans choix souvent, si bien qu’on a des mches grises
Aux mains et des dgots au coeur aprs l’bat
Quand passe le marchef ou que le rappel bat,
Puis encore, les camps levs et les droutes.
Toutes ces gats, tous ces faits d’armes et toutes
Ces gloires dfilaient en de longs entretiens,
Entremls de gros jurons trs peu chrtiens
Et de grands coups de poing sur les cuisses voisines.
Les femmes cependant, soeurs, mres et cousines,
Pleuraient et frmissaient un peu, conformment
A l’usage, tout en se disant: ‘Le vieux ment.’
Et les hommes fumaient et crachaient dans la cendre.
Et lui qui quelquefois voulait bien condescendre
A parler discipline avec ces bons lourdauds
Se levait, grands pas marchait, les mains au dos,
Et racontait alors quelque fait politique
Dont il se proclamait le tmoin authentique,
La distribution des Aigles, les Adieux,
Le Sacre et ce Dix-huit Brumaire radieux,
Beau jour o le soldat qu’un bavard importune
Brisa du mme coup orateurs et tribune,
O le dieu Mars mis par la Chambre hors la Loi
Mit la Loi hors la Chambre et, sans dire pourquoi,
Balaya du pouvoir tous ces ergoteurs glabres,
Tous ces lgislateurs qui n’avaient pas de sabres!
Tel parlait et faisait le grognard prcit
Qui mourut centenaire peu prs l’autre t.
Le maire conduisit le deuil au cimetire.
Un feu de peloton fut tir sur la bire
Par le garde champtre et quatorze pompiers,
Dont sept revinrent plus ou moins estropis
A cause des mauvais fusils de la campagne.
Un tertre qu’une pierre assez grande accompagne
Et qu’orne un saule en pleurs est l’humble monument
O notre hros dort perptuellement.
De plus, suivant le voeu dernier du camarade,
On grava sur la pierre, aprs ses noms et grade,
Ces mots que tout Franais doit lire en tressaillant:
‘Amour la plus belle et gloire au plus vaillant.’
LES LOUPS
Parmi l’obscur champ de bataille
Rdant sans bruit sous le ciel noir,
Les loups obliques font ripaille
Et c’est plaisir que de les voir,
Agiles, les yeux verts, aux pattes
Souples sur les cadavres mous,
—Gueules vastes et ttes plates—
Joyeux, hrisser leurs poils roux.
Un rauquement rien moins que tendre
Accompagne les dents mchant,
Et c’est plaisir que de l’entendre,
Cet hosannah vil et mchant:
—‘Chair entaille et sang qui coule,
Les hros ont du bon vraiment.
La faim repue et la soif sole
Leur doivent bien ce compliment.
‘Mais aussi, soit dit sans reproche,
Combien de peines et de pas
Nous a cots leur seule approche,.
On ne l’imaginerait pas.
‘Ds que, sans piti ni relches,
Sonnrent leurs pas fanfarons,
Nos coeurs de fauves et de lches,
A la fois gourmands et poltrons,
‘Pressentant la guerre et la proie
Pour maintes nuits et pour maints jours
Battirent de crainte et de joie
A l’unisson de leurs tambours.
‘Quand ils apparurent ensuite
Tout tincelants de mlai,
Oh! quelle peur et quelle fuite
Vers la femelle, au bois natal!
‘Ils allaient fiers, les jeunes hommes,
Calmes sous leur drapeau flottant,
Et plus forts que nous ne le sommes
Ils avaient l’air trs doux pourtant.
‘Le fer terrible de leurs glaives
Luisait moins encor que leurs yeux,
O la candeur d’augustes rves
clatait en regards joyeux.
‘Leurs cheveux que le vent fouette
Sous leurs casques battaient, pareils
Aux ailes de quelque mouette,
Pales avec des tons vermeils.
‘Ils chantaient des choses hautaines!
a parlait de libres combats,
D’amour, de brisements de chanes
Et de mauvais dieux mis bas.—
‘Ils passrent. Quand leur cohorte
Ne fut plus l-bas qu’un point bleu,
Nous nous arrangemes en sorte
De les suivre en nous risquant peu.
‘Longtemps, longtemps rasant la terre,
Discrets, loin derrire eux, tandis
Qu’ils allaient au pas militaire,
Nous marchmes par rang de dix.
‘Passant les fleuves la nage
Quand ils avaient rompu les ponts,
Quelques herbes pour tout carnage,
N’avanant que par faibles bonds,
‘Perdant tout moment haleine…
Enfin une nuit ces dmons
Camprent au fond d’une plaine
Entre des forts et des monts,
‘L nous les guettmes l’aise,
Car ils dormaient pour la plupart.
Nos yeux pareils de la braise
Brillaient autour de leur rempart,
‘Et le bruit sec de nos dents blanches
Qu’attendaient des festins si beaux
Faisait cliqueter dans les branches
Le bec avide des corbeaux.
‘L’aurore clate. Une fanfare
pouvantable met sur pied
La troupe entire qui s’effare.
Chacun s’quipe comme il sied.
‘Derrire les hautes futaies
Nous nous sommes dissimuls
Tandis que les prochaines haies
Cachent les corbeaux affols.
‘Le soleil qui monte commence
A brler. La terre a frmi.
Soudain une clameur immense
A retenti. C’est l’ennemi!
‘C’est lui, c’est lui! Le sol rsonne
Sous les pas durs des conqurants.
Les polmarques en personne
Vont et viennent le long des rangs.
‘Et les lances et les pes
Parmi les plis des tendards
Flambent entre les chappes
De lumires et de brouillards.
‘Sur ce, dans ses courroux piques.
La jeune bande s’avana,
Gaie et sereine sous les piques,
Et la bataille commena.
‘Ah! ce fut une chaude affaire:
Cris confus, choc d’armes, le tout
Pendant une journe entire,
Sous l’ardeur rouge d’un ciel d’aot.
‘Le soir.—Silence et calme. A peine
Un vague moribond tardif
Crachant sa douleur et sa haine
Dans un hoquet dfinitif,
‘A peine, au lointain gris, le triste
Appel d’un clairon gar.
Le couchant d’or et d’amthyste
S’teint et brunit par degr.
‘La nuit tombe. Voici la lune!
Elle cache et montre moiti
Sa face hypocrite comme une
Complice feignant la piti.
‘Nous autres qu’un tel souci laisse
Et laissera toujours trs cois,
Nous n’avons pas cette faiblesse,
Car la faim nous chasse du bois,
‘Et nous avons de quoi repatre
Cet imprial apptit,
Le champ de bataille sans matre
N’tant ni vide ni petit.
‘Or, sans plus perdre en phrases vaines
Dont quelque sot serait jaloux
Cette faon de grasses aubaines,
Buvons et mangeons, nous, les Loups!’
LA PUCELLE
A Robert Caze.
Quand dj ptillait et flambait le bcher,
Jeanne qu’assourdissait le chant brutal des prtres,
Sous tous ces yeux dards de toutes ces fentres
Sentit frmir sa chair et son me broncher.
Et semblable aux agneaux que revend au boucher
Le ptour qui s’en va sifflant des airs champtres,
Elle considra les choses et les tres
Et trouva son seigneur bien ingrat et lger.
‘C’est mal, gentil Btard, doux Charles, bon Xaintrailles,
De laisser les Anglais faire ces funrailles
A qui leur fit lever le sige d’Orlans.’
Et la Lorraine, au seul penser de cette injure,
Tandis que l’treignait la mort des mcrants,
Las! pleura comme et fait une autre crature.
L’ANGELUS DU MATIN
A Lon Vanier.
Fauve avec des tons d’carlate,
Une aurore de fin d’t
Temptueusement clate
A l’horizon ensanglant.
La nuit rveuse, bleue et bonne,
Plit, scintille et fond en l’air,
Et l’ouest dans l’ombre qui frissonne
Se teinte au bord de rose clair.
La plaine brille au loin et fume.
Un oblique rayon venu
Du soleil surgissant allume
Le fleuve comme un sabre nu.
Le bruit des choses rveilles
Se marie aux brouillards lgers
Que les herbes et les feuilles
Ont subitement dgags.
L’aspect vague du paysage
S’accentue et change foison.
La silhouette d’un village
Parat.—Parfois une maison
Illumine sa vitre et lance
Un grand clair qui va chercher
L’ombre du bois plein de silence.
a et l se dresse un clocher.
Cependant, la lumire accrue
Frappe dans les sillons les socs
Et voici que claire, bourrue,
Despotique, la voix des coqs
Proclamant l’heure froide et grise
Du pain mang sans faim, des yeux
Frotts que flagelle la bise
Et du grincement des moyeux,
Fait sortir des toits la fume,
Aboyer les chiens en fureur,
Et par la pente accoutume
Descendre le lourd laboureur,
Tandis qu’un choeur de cloches dures,
Dans le grandissement du jour,
Monte, aubade franche d’injures,
A l’adresse du Dieu d’amour!
LA SOUPE DU SOIR
A J.-K. Huysmans.
Il fait nuit dans la chambre troite et froide o l’homme
Vient de rentrer, couvert de neige, en blouse, et comme
Depuis trois jours il n’a pas prononc deux mots,
La femme a peur et fait des signes aux marmots.
Un seul lit, un bahut disloqu, quatre chaises,
Des rideaux jadis blancs conchis des punaises,
Une table qui va s’croulant d’un ct,—
Le tout navrant avec un air de salet.
L’homme, grand front, grands yeux pleins d’une sombre flamme,
A vraiment des lueurs d’intelligence et d’me,
Et c’est ce qu’on appelle un solide garon.
La femme, jeune encore, est belle sa faon.
Mais la Misre a mis sur eux sa main funeste,
Et perdant par degrs rapides ce qui reste
En eux de tristement vnrable et d’humain,
Ce seront la femelle et le mle, demain.
Tous se sont attabls pour manger de la soupe
Et du boeuf, et ce tas sordide forme un groupe
Dont l’ombre l’infini s’allonge tout autour
De la chambre, la lampe tant sans abat-jour.
Les enfants sont petits et ples, mais robustes
En dpit des maigreurs saillantes de leurs bustes,
Qui disent les hivers passs sans feu souvent
Et les ts subits dans un air touffant.
Non loin d’un vieux fusil rouill qu’un clou supporte
Et que la lampe fait luire d’trange sorte,
Quelqu’un qui chercherait longtemps dans ce retrait
Avec l’oeil d’un agent de police verrait
Empils dans le fond de la boiteuse armoire
Quelques livres poudreux de ‘science’ et ‘d’histoire’,
Et, sous le matelas, cachs avec grand soin,
Des romans capiteux corns chaque coin.
Ils mangent cependant. L’homme, morne et farouche,
Porte la nourriture coeurante sa bouche
D’un air qui n’est rien moins nonobstant que soumis,
Et son euslache semble d’autres soins promis.
La femme pense quelque ancienne compagne,
Laquelle a tout, voiture et maison de campagne,
Tandis que les enfants, leurs poings dans leurs yeux clos,
Ronflant sur leur assiette, imitent des sanglots.
LES VAINCUS
A Louis-Xavier de Ricard.
I
La Vie est triomphante et l’Idal est mort,
Et voil que, criant sa joie au vent qui passe,
Le cheval enivr du vainqueur broie et mord
Nos frres, qui du moins tombrent avec grce,
Et nous que la droute a fait survivre, hlas!
Les pieds meurtris, les yeux troubls, la tte lourde,
Saignants, veules, fangeux, dshonors et las,
Nous allons, touffant mal une plainte sourde,
Nous allons, au hasard du soir et du chemin,
Comme les meurtriers et comme les infmes,
Veufs, orphelins, sans toit, ni fils, ni lendemain,
Aux lueurs des forts familires en flammes!
Ah! puisque notre sort est bien complet, qu’enfin
L’espoir est aboli, la dfaite certaine,
Et que l’effort le plus norme serait vain,
Et puisque c’en est fait, de notre haine,
Nous n’avons plus, l’heure o tombera la nuit,
Abjurant tout risible espoir de funrailles,
Qu’ nous laisser mourir obscurment, sans bruit,
Comme il sied aux vaincus des suprmes batailles.
II
Une faible lueur palpite l’horizon
Et le vent glacial qui s’lve redresse
Le feuillage des bois elles fleurs du gazon,
C’est l’aube! tout renat sous sa froide caresse.
De fauve l’Orient devient rose, et l’argent
Des astres va bleuir dans l’azur qui se dore,
Le coq chante, veilleur exact et diligent,
L’alouette a vol stridente: c’est l’aurore!
clatant, le soleil surgit: c’est le matin!
Amis, c’est le matin splendide dont la joie
Heurte ainsi notre lourd sommeil, et le festin
Horrible des oiseaux et des btes de proie.
O prodige! en nos coeurs le frisson radieux
Met travers l’clat subit de nos cuirasses,
Avec un violent dsir de mourir mieux,
La colre et l’orgueil anciens des bonnes races.
Allons, debout! allons, allons! debout, debout!
Assez comme cela de hontes et de trves!
Au combat, au combat! car notre sang qui bout
A besoin de fumer sur la pointe des glaives!
III
Les vaincus se sont dit dans la nuit de leurs geles:
Ils nous ont enchans, mais nous vivons encor.
Tandis que les carcans font ployer nos paules,
Dans nos veines le sang circule, bon trsor.
Dans nos ttes nos yeux rapides avec ordre
Veillent, fins espions, et derrire nos fronts
Notre cervelle pense, et s’il faut tordre ou mordre,
Nos mchoires seront dures et nos bras prompts.
Lgers, ils n’ont pas vu d’abord la faute immense
Qu’ils faisaient, et ces fous qui s’en repentiront
Nous ont jet le lche affront de la clmence.
Bon! la clmence nous vengera de l’affront.
Ils nous ont enchans! Mais les chanes sont faites
Pour tomber sous la lime obscure et pour frapper
Les gardes qu’on dsarme, et les vainqueurs en ftes
Laissent aux vads le temps de s’chapper.
Et de nouveau bataille! Et victoire peut-tre,
Mais bataille terrible et triomphe inclment,
Et comme cette fois le Droit sera le matre,
Cette fois-l sera la dernire, vraiment!
IV
Car les morts, en dpit des vieux rves mystiques,
Sont bien morts, quand le fer a bien fait son devoir,
Et les temps ne sont plus des fantmes piques
Chevauchant des chevaux spectres sous le ciel noir,
La jument de Roland et Roland sont des mythes
Dont le sens nous chappe et rclame un effort
Qui perdrait notre temps, et si vous vous promtes
D’tre pargns par nous vous vous tromptes fort.
Vous mourrez de nos mains, sachez-le, si la chance
Est pour nous. Vous mourrez, suppliants, de nos mains.
La justice le veut d’abord, puis la vengeance,
Puis le besoin pressant d’importuns lendemains.
Et la terre, depuis longtemps aride et maigre,
Pendant longtemps boira joyeuse votre sang
Dont la lourde vapeur savoureusement aigre
Montera vers la nue et rougira son flanc,
Et les chiens et les loups et les oiseaux de proie
Feront vos membres nets et fouilleront vos troncs,
Et nous rirons, sans rien qui trouble notre joie,
Car les morts sont bien morts et nous vous l’apprendrons.
A LA MANIRE DE PLUSIEURS
LA PRINCESSE BRNICE
A Jacques Madeleine.
Sa tte fine dans sa main toute petite,
Elle coute le chant des cascades lointaines,
Et dans la plainte langoureuse des fontaines,
Peroit comme un cho bni du nom de Tite.
Elle a ferm ses yeux divins de clmatite
Pour bien leur peindre, au coeur des batailles hautaines,
Son doux hros, le mieux aimant des capitaines,
Et, Juive, elle se sent au pouvoir d’Aphrodite.
Alors un grand souci la prend d’tre amoureuse.
Car dans Rome une loi bannit, barbare, affreuse,
Du trne imprial toute femme trangre.
Et sous le noir chagrin dont sanglote son me,
Entre les bras de sa servante la plus chre,
La reine, hlas! dfaille et tendrement se pme.
II
LANGUEUR
A Georges Courteline.
Je suis l’Empire la fin de la dcadence,
Qui regarde passer les grands Barbares blancs
En composant des acrostiches indolents
D’un style d’or o la langueur du soleil danse.
L’me seulette a mal au coeur d’un ennui dense.
L-bas on dit qu’il est de longs combats sanglants.
O n’y pouvoir, tant si faible aux voeux si lents,
O n’y vouloir fleurir un peu de cette existence!
O n’y vouloir, n’y pouvoir mourir un peu!
Ah! tout est bu! Bathylle, as-tu fini de rire?
Ah! tout est bu, tout est mang! Plus rien dire!
Seul, un pome un peu niais qu’on jette au feu,
Seul, un esclave un peu coureur qui vous nglige,
Seul, un ennui d’on ne sait quoi qui vous afflige!
III
PANTOUM NGLIG
Trois petits pts, ma chemise brle.
Monsieur le cur n’aime pas les os.
Ma cousine est blonde, elle a nom Ursule,
Que n’migrons-nous vers les Palaiseaux.
Ma cousine est blonde, elle a nom Ursule,
On dirait d’un cher glaeul sur les eaux
Vivent le muguet et la campanule!
Dodo, l’enfant do, chantez, doux fuseaux.
Que n’migrons-nous vers les Palaiseaux.
Trois petits pts, un point et virgule,
On dirait d’un cher glaeul sur les eaux,
Vivent le muguet et la campanule.
Trois petits pts, un point et virgule,
Dodo, l’enfant do, chantez, doux fuseaux.
La libellule erre parmi des roseaux.
Monsieur le Cur, ma chemise brle.
IV
PAYSAGE
Vers Saint-Denis c’est bte et sale la campagne.
C’est pourtant l qu’un jour j’emmenai ma compagne.
Nous tions de mauvaise humeur et querellions.
Un plat soleil d’t tartinait ses rayons
Sur la plaine sche ainsi qu’une rtie.
C’tait pas trop aprs le Sige: une partie
Des ‘maisons de campagne’ tait terre encor,
D’autre se relevaient comme on hisse un dcor,
Et des obus tout neufs encastrs aux pilastres
Portaient crit autour: SOUVENIR DES DSASTRES.
V
CONSEIL FALOT
A Raoul Ponchon.
Brle aux yeux des femmes
Et garde ton coeur,
Mais crains la langueur
Des pithalames.
Bois pour oublier!
L’eau-de-vie est une
Qui porte la lune
Dans son tablier.
L’injure des hommes,
Qu’est-ce que a fait?
Va, notre coeur sait
Seul ce que nous sommes.
Ce que nous valons
Notre sang le chante!
L’pine mchante
Te mord aux talons?
Le vent taquin ose
Te gifler souvent?
Chante dans le vent
Et cueille la rose!
Va, tout est au mieux
Dans ce monde!
Surtout laisse dire,
Surtout sois joyeux
D’tre une victime
A ces pauvres gens:
Les dieux indulgents
Ont aim ton crime!
Tu refleuriras
Dans un lyse.
Ame mprise,
Tu rayonneras!
Tu n’es pas de celles
Qu’un coup du Destin
Dissipe soudain
En mille tincelles.
Mtal dur et clair,
Chaque coup t’affine
En arme divine
Pour un destin fier.
Arrire la forge!
Et tu vas frmir
Vibrer et jouir
Au poing de saint George
Et de saint Michel,
Dans des gloires calmes,
Au vent pur des palmes
Sur l’aile du ciel!…
C’est d’tre un sourire
Au milieu des pleurs,
C’est d’tre des fleurs,
Au champ du martyre,
C’est d’tre le feu
Qui dort dans la pierre,
C’est d’tre en prire,
C’est d’attendre un peu!
VI
LE POTE ET LA MUSE
La chambre, as-tu gard leurs spectres ridicules,
O pleine de jour sale et de bruits d’araignes?
La chambre, as-tu gard leurs formes dsignes
Par ces crasses au mur et par quelles virgules?
Ah fi! Pourtant, chambre en garni qui te recules
En ce sec jeu d’optique aux mines renfrognes
Du souvenir de trop de choses destines,
Comme ils ont donc regret aux nuits, aux nuits d’Hercules?
Qu’on l’entende comme on voudra, ce n’est pas a:
Vous ne comprenez rien aux choses, bonnes gens.
Je vous dis que ce n’est pas ce que l’on pensa.
Seule, chambre qui fuis en cnes affligeants,
Seule, tu sais! mais sans doute combien de nuits
De noce auront dvirgin leurs nuits depuis!
VII
L’AUBE A L’ENVERS
A Louis Dumoulin.
Le Point-du-Jour avec Paris au large,
Des chants, des tirs, les femmes qu’on ‘rvait’,
La Seine claire et la foule qui fait
Sur ce pome un vague essai de charge.
On danse aussi, car tout est dans la marge
Que fait le fleuve ce livre parfait,
Et si parfois l’on tuait ou buvait,
Le fleuve est sourd et le vin est litharge.
Le Point-du-Jour, mais c’est l’Ouest de Paris!
Un calembour a bni son histoire
D’affreux baisers et d’immondes paris.
En attendant que sonne l’heure noire
O les bateaux-omnibus et les trains
Ne partent plus, tirez, tirs, fringuez, reins!
VIII
UN POUACRE
A Jean Moras.
Avec les yeux d’une tte de mort
Que la lune encore dcharne,
Tout mon pass, disons tout mon remord
Ricane travers ma lucarne.
Avec la voix d’un vieillard trs cass,
Comme l’on n’en voit qu’au thtre,
Tout mon remords, disons tout mon pass
Fredonne un tralala foltre.
Avec les doigts d’un pendu dj vert
Le drle agace une guitare
Et danse sur l’avenir grand ouvert,
D’un air d’lasticit rare.
‘Vieux turlupin, je n’aime pas cela.
Tais ces chants et cesse ces danses.’
Il me rpond avec la voix qu’il a:
‘C’est moins farce que tu ne penses.’
‘Et quant au soin frivole, doux morveux,
De te plaire ou de te dplaire,
Je m’en soucie au point que, si tu veux,
Tu peux t’aller faire lanlaire.’
IX
MADRIGAL
Tu m’as, ces ples jours d’automne blanc, fait mal
A cause de tes yeux o fleurit l’animal,
Et tu me rongerais, en princesse Souris,
Du bout fin de la quenotte de ton souris.
Fille auguste qui fis flamboyer ma douleur
Avec l’huile rancie encor de ton vieux pleur!
Oui, folle, je mourrais de ton regard damn.
Mais va (veux-tu?) l’tang l dort insouponn
Dont du lis, nef qu’il et fallu qu’on acclamt,
L’eau morte a bu le vent qui coule du grand mt
T’y jeter, palme! et d’avance mon repentir
Parle si bas qu’il faut tre sourd pour l’our.
NAGURE
PROLOGUE
Ce sont choses crpusculaires.
Des visions de fui de nuit.
O Vrit, tu les claires
Seulement d’une aube qui luit
Si ple dans l’ombre abhorre
Qu’on doute encore par instants
Si c’est la lune qui les cre
Sous l’horreur des rameaux flottants,
Ou si ces fantmes moroses
Vont tout l’heure prendre corps
Et se mler au choeur des choses
Dans les harmonieux dcors
Du soleil et de la nature
Doux l’homme et proclamant Dieu
Pour l’extase de l’hymne pure
Jusqu’ la douceur du ciel bleu.
CRIMEN AMORIS
A Villiers de l’Isle-Adam.
Dans un palais, soie et or, dans Ecbatane,
De beaux dmons, des satans adolescents,
Au son d’une musique mahomtane
Font litire aux Sept Pchs de leurs cinq sens.
C’est la fte aux Sept Pchs: qu’elle est belle!
Tous les Dsirs rayonnaient en feux brutaux,
Les Apptits, pages prompts que l’on harcle,
Promenaient des vins roses dans des cristaux.
Des danses sur des rythmes d’pithalames
Bien doucement se pmaient en longs sanglots
Et de beaux choeurs de voix d’hommes et de femmes
Se droulaient, palpitaient comme des flots,
Et la bont qui s’en allait de ces choses
tait puissante et charmante tellement
Que la campagne autour se fleurit de roses
Et que la nuit paraissait en diamant.
Or le plus beau d’entre tous ces mauvais anges
Avait seize ans sous sa couronne de fleurs.
Les bras croiss sur les colliers et les franges,
Il rve, l’oeil plein de flammes et de pleurs.
En vain la fte autour se faisait plus folle,
En vain les satans, ses frres et ses soeurs,
Pour l’arracher au souci qui le dsole,
L’encourageaient d’appels de bras caresseurs.
Il rsistait toutes clineries,
Et le chagrin mettait un papillon noir
A son cher front tout brlant d’orfvreries:
O l’immortel et terrible dsespoir!
Il leur disait: ‘O vous, laissez-moi tranquille!
Puis, les ayant baiss tous bien tendrement,
Il s’vada d’avec eux d’un geste agile,
Leur laissant aux mains des pans de vtement.
Le voyez-vous sur la tour la plus cleste
Du haut palais avec une torche au poing?
Il la brandit comme un hros fait d’un ceste:
D’en bas on croit que c’est une aube qui point.
Qu’est-ce qu’il dit de sa voix profonde et tendre
Qui se marie au claquement clair du feu
Et que la lune est extatique d’entendre?
‘Oh! je serai celui-l qui crera Dieu!
‘Nous avons tous trop souffert, anges et hommes,
De ce conflit entre le Pire et le Mieux.
Humilions, misrables que nous sommes,
Tous nos lans dans le plus simple des voeux,
‘O vous tous, nous tous, les pcheurs tristes,
O les gais Saints! Pourquoi ce schisme ttu?
Que n’avons-nous fait, en habiles artistes,
De nos travaux la seule et mme vertu!
‘Assez et trop de ces luttes trop gales!
Il va falloir qu’enfin se rejoignent les
Sept Pchs aux Trois Vertus Thologales!
Assez et trop de ces combats durs et laids!
‘Et pour rponse Jsus qui crut bien faire
En maintenant l’quilibre de ce duel,
Par moi l’enfer dont c’est ici le repaire
Se sacrifie l’Amour universel!’
La torche tombe de sa main ploye,
Et l’incendie alors hurla s’levant,
Querelle norme d’aigles rouges noye
Au remous noir de la fume et du vent.
L’or fond et coule flots et le marbre clate,
C’est un brasier tout splendeur et tout ardeur,
La soie en courts frissons comme de l’ouate
Vole flocons tout ardeur et tout splendeur.
Et les satans mourants chantaient dans les flammes
Ayant compris, comme s’ils taient rsigns!
Et de beaux choeurs de voix d’hommes et de femmes
Montaient parmi l’ouragan des bruits igns.
Et lui, les bras croiss d’une sorte fire,
Les yeux au ciel o le feu monte en lchant,
Il fit tout bas une espce de prire
Qui va mourir dans l’allgresse du chant.
Il dit tout bas une espce de prire,
Les yeux au ciel o le feu monte en lchant…
Quand retentit un affreux coup de tonnerre,
Et c’est la fin de l’allgresse et du chant.
On n’avait pas agr le sacrifice:
Quelqu’un de fort et de juste assurment
Sans peine avait su dmler la malice
Et l’artifice en un orgueil qui se ment.
Et du palais aux cent tours aucun vestige,
Rien ne resta dans ce dsastre inou,
Afin que par le plus effrayant prodige
Ceci ne ft qu’un vain rve vanoui…
Et c’est la nuit, la nuit bleue aux mille toiles,
Une campagne vanglique s’tend
Svre et douce, et, vagues comme des voiles,
Les branches d’arbres ont l’air d’ailes s’agitant.
De froids ruisseaux courent sur un lit de pierre,
Les doux hiboux nagent vaguement dans l’air
Tout embaum de mystre et de prire,
Parfois un flot qui saute lance un clair.
La forme molle au loin monte des collines
Comme un amour mal dfini,
Et le brouillard qui s’essore des ravines
Semble un effort vers quelque but runi.
Et tout cela comme un coeur et comme une me,
Et comme un verbe, et d’un amour virginal
Adore, s’ouvre en une extase et rclame
Le Dieu clment qui nous gardera du mal.
LA GRACE
A Armand Silvestre.
Un cachot. Une femme genoux, en prire.
Une tte de mort est gisante par terre,
Et parle, d’un ton aigre et douloureux aussi.
D’une lampe au plafond tombe un rayon transi.
‘Dame Reine…—Encor toi, Satan!—Madame Reine…
—‘O Seigneur, faites mon oreille assez sereine
Pour our sans l’couter ce que dit le Malin!’
—‘Ah! ce fut un vaillant et galant chtelain
Que votre poux! Toujours en guerre ou bien en fte,
(Hlas! j’en puis parler puisque je suis sa tte),
Il vous aima, mais moins encore qu’il n’et d.
Que de vertu gte et que de temps perdu
En vains tournois, en cours d’amour loin de sa dame
Qui belle et jeune prit un amant, la pauvre me!’
—‘O Seigneur, cartez ce calice de moi!’
—‘Comme ils s’aimrent! Ils s’taient jur leur foi
De s’pouser sitt que serait mort le matre,
Et le turent dans son sommeil d’un coup tratre.’
—Seigneur, vous le savez, ds le crime accompli,
J’eus horreur, et prenant ce jeune homme en oubli,
Vins au roi, dvoilant l’attentat effroyable,
Et pour mieux djouer la malice du diable,
J’obtins qu’on m’apportt en ma juste prison
La tte de l’poux occis en trahison:
Par ainsi le remords, devant ce triste reste,
Me met toujours aux yeux mon action funeste.
Et la ferveur de mon repentir s’en accrot,
O Jsus! Mais voici: le Malin qui se voit
Dupe et qui voudrait bien ressaisir sa conqute,
S’en vient-il pas loger dans cette pauvre tte
Et me tenir de faux propos insidieux?
O Seigneur, tendez-moi vos secours prcieux!’
—‘Ce n’est pas le dmon, ma Reine, c’est moi-mme,
Votre poux, qui vous parle en ce moment suprme,
Votre poux qui, damn (car j’tais en mourant
En tat de pch mortel), vers vous se rend,
O Reine, et qui, pauvre me errante, prend la tte
Qui fut la sienne aux jours vivants pour interprte
Effroyable de son amour pouvant.’
—‘O blasphme hideux, mensonge dtest!
Monsieur Jsus, mon matre adorable, exorcise
Ce chef horrible et le vide de la hantise
Diabolique qui n’en fait qu’un instrument
O souffle Belzbuth fallacieusement,
Comme dans une flte on joue un air perfide!’
—‘O douleur, une erreur lamentable te guide,
Reine, je ne suis pas Satan, je suis Henry!’
—‘Oyez, Seigneur, il prend la voix de mon mari!
A mon secours, les Saints, l’aide, Notre-Dame!’
—‘Je suis Henry, du moins, Reine, je suis son me,
Qui, par sa volont, plus forte que l’enfer,
Ayant su transgresser toute porte de fer
Et de flamme, et braver leur impure cohorte,
Hlas! vient pour te dire avec cette voix morte
Qu’il est d’autres amours encor que ceux d’ici.
Tout immatriels et sans autre souci
Qu’eux-mmes, des amours d’mes et de penses.
Ah! que leur fait le Ciel ou l’Enfer. Enlaces,
Les mes, elles n’ont qu’elles-mmes pour but!
L’enfer pour elles, c’est que leur amour mourt,
Et leur amour de son essence est immortelle!
Hlas! moi, je ne puis te suivre aux deux, cruelle
Et seule peine en ma damnation. Mais toi,
Damne-toi! Pousserons heureux deux, la loi
Des mes, je le dis, c’est l’alme indiffrence
Pour la flicit comme pour la souffrance
Si l’amour partag leur fait d’intimes cieux.
Viens afin que l’enfer, jaloux, voie, envieux,
Deux damns ajouter, comme on double un dlice,
Tous les feux de l’amour tous ceux du supplice,
Et se sourire en un baiser perptuel!’
—Ame de mon poux, tu sais qu’il est rel
Le repentir qui fait qu’en ce moment j’espre
En la misricorde ineffable du Pre
Et du Fils et du Saint-Esprit! Depuis un mois
Que j’expie, attendant la mort que je te dois,
En ce cachot trop doux encor, nue et par terre,
Le crime monstrueux et l’infme adultre,
N’ai-je pas, repassant ma vie en sanglotant,
O mon Henry, pleur des sicles cet instant
O j’ai pu mconnatre en toi celui qu’on aime?
Va, j’ai revu, superbe et doux, toujours le mme,
Ton regard qui parlait dlicieusement,
Et j’entends, et c’est l mon plus dur chtiment,
Ta noble voix, et je me souviens des caresses!
Or si tu m’as absous et si tu t’intresses
A mon salut, du haut des cieux, cher souci,
Manifeste-toi, parle, et dmens celui-ci
Qui blasphme et vomit d’affreuses hrsies!.’
—‘Je te dis que je suis damn! Tu t’extasies
En terreurs vaines, ma Reine. Je te dis
Qu’il te faut rebrousser chemin du Paradis,
Vain sjour du bonheur banal et solitaire
Pour l’amour avec moi! Les amours de la terre
Ont, tu le sais, de ces instants chastes et lents:
L’me veille, les sens se taisent somnolents,
Le coeur qui se repose et le sang qui s’affaire
Font dans tout l’tre comme une douce faiblesse.
Plus de dsirs fivreux, plus d’lans nervants,
On est des frres et des soeurs et des enfants,
On pleure d’une intime et profonde allgresse,
On est les cieux, on est la terre, enfin on cesse
De vivre et de sentir pour s’aimer au del,
Et c’est l’ternit que je t’offre, prends-la!
Au milieu des tourments nous serons dans la joie,
Et le Diable aura beau meurtrir sa double proie,
Nous rirons, et plaindrons ce Satan sans amour.
Non, les Anges n’auront dans leur morne sjour
Rien de pareil ces dlices inoues!’—
La Comtesse est debout, paumes panouies.
Elle fait le grand cri des amours surhumains,
Puis se penche et saisit avec ples mains
La tte qui, merveille! a l’aspect de sourire.
Un fantme de vie et de chair semble luire
Sur le hideux objet qui rayonne prsent
Dans un nimbe languissamment phosphorescent.
Un halo clair, semblable des cheveux d’aurore,
Tremble au sommet et semble au vent flotter encore
Parmi le chant des cors travers la fort.
Les noirs orbites ont des clairs, on dirait
De grands regrets de flamme et noirs. Le trou farouche
Au rire affreux, qui fut, Comte Henry, ta bouche,
Se transfigure rouge aux deux arcs palpitants
De lvres qu’aurole un duvet de vingt ans,
Et qui pour un baiser se tendent savoureuses…
Et la Comtesse la faon des amoureuses
Tient la tte terrible amplement, une main
Derrire et l’autre sur le front, ple, en chemin
D’aller vers le baiser spectral, l’me tendue,
Hoquetant, dilatant sa prunelle perdue
Au fond de ce regard vague qu’elle a devant…
Soudain elle recule, et d’un geste rvant
(O femmes, vous avez ces allures de faire!)
Elle laisse tomber la tte qui profre
Une plainte, et, roulant, sonnant creux et longtemps:
—‘Mon Dieu, mon Dieu, piti! Mes pchs pnitents
Lvent leurs pauvres bras vers ta bnvolence,
O ne les souffre pas criant en vain! O lance
L’clair de ton pardon qui tuera ce corps vil!
Vois que mon me est faible en ce dolent exil!
Et ne la laisse pas au Mauvais qui la guette!
O que je meure!’
Avec le bruit d’un corps qu’on jette,
La Comtesse l’instant tombe morte, et voici:
Son me en blanc linceul, par l’espace clairci
D’une douce clart d’or blond qui flue et vibre
Monte au plafond ouvert dsormais l’air libre
Et d’une ascension lente va vers les cieux.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La tte est l, et dardant en l’air ses sombres yeux
Et sautle dans des attitudes tranges:
Telles dans les Assomptions des ttes d’anges,
Et la bouche vomit un gmissement long,
Et des orbites vont coulant de pleurs de plomb.
L’IMPNITENCE FINALE
A Catulle Mends.
La petite marquise Osine est toute belle,
Elle pourrait aller grossir la ribambelle
Des folles de Watteau sous leur chapeau de fleurs
Et de soleil, mais comme on dit, elle aime ailleurs.
Parisienne en tout, spirituelle et bonne
Et mauvaise ne rien redouter de personne,
Avec cet air mi-faux qui fait que l’on vous croit,
C’est un ange fait pour le monde qu’elle voit,
Un ange blond, et mme on dit qu’il a des ailes.
Vingt soupirants, brls du feu des meilleurs zles
Avaient en vain qut leur main ses seize ans,
Quand le pauvre marquis, quittant ses paysans
Comme il avait quitt son escadron, vint faire
Escale au Jockey, vous connaissez son affaire
Avec la grosse Emma de qui—l’eussions-nous cru?
Le bon garon tait absolument fru,
Son dsespoir aprs le dpart de la grue,
Le duel avec Contran, c’est vieux comme la rue,
Bref il vit la petite un jour dans un salon,
S’en prit tout d’un coup comme un fou, mme l’on
Dit qu’il en oublia si bien son infidle
Qu’on le voyait le jour d’ensuite avec Adle.
Temps et moeurs! La petite (on sait tout aux Oiseaux)
Connaissait le roman du cher, et jusques aux
Moindres chapitres: elle en conut de l’estime.
Aussi quand le marquis offrit sa lgitime
Et sa main contre sa menotte, elle dit: Oui,
Avec un franc parler d’allgresse inou.
Les parents, voyant sans horreur ce mariage
(Le marquis tait riche et pouvait passer sage),
Signrent au contrat avec laisser-aller.
Elle qui voyait l quelqu’un consoler
Out la messe dans une ferveur profonde.
Elle le consola deux ans. Deux ans du monde!
Mais tout passe!
Si bien qu’un jour elle attendait
Un autre et que cet autre atrocement tardait,
De dpit la voil soudain qui s’agenouille
Devant l’image d’une Vierge la quenouille
Qui se trouvait l, dans cette chambre en garni,
Demandant Marie, en un trouble infini,
Pardon de son pch si grand, si cher encore,
Bien qu’elle croie au fond du coeur qu’elle l’abhorre.
Comme elle relevait son front d’entre ses mains,
Elle vit Jsus-Christ avec les traits humains
Et les habits qu’il a dans les tableaux d’glise.
Svre, il regardait tristement la marquise,
La vision flottait blanche dans un jour bleu
Dont les ondes, voilant l’apparence du lieu,
Semblaient envelopper d’une atmosphre lue
Osine qui semblait d’extase irrsolue
Et qui balbutiait des exclamations.
Des accords assoupis de harpe de Sions
Clestes descendaient et montaient par la chambre,
Et des parfums d’encens, de cinnamome et d’ambre.
Fluaient, et le parquet retentissait des pas
Mystrieux de pieds que l’on ne voyait pas,
Tandis qu’autour c’tait, en dcadences soyeuses,
Un grand frmissement d’ailes mystrieuses
La marquise restait genoux, attendant,
Toute admiration peureuse, cependant.
Et le Sauveur parla:
‘Ma fille, le temps passe,
Et ce n’est pas toujours le moment de la grce.
Profitez de cette heure, ou c’en est fait de vous.’
La vision cessa.
Oui certes, il est doux
Le roman d’un premier amant. L’me s’essaie,
C’est un jeune coureur la premire haie.
C’est si mignard qu’on croit peine que c’est mal.
Quelque chose d’tonnamment matutinal.
On sort du mariage habitueux. C’est comme
Qui dirait la fleur aurorale de l’homme,
Et les baisers parmi cette frache clart
Sonnent comme des cris d’alouette en t,
O le premier amant! Souvenez-vous, mesdames?
Vagissant et timide lancement des mes
Vers le fruit dfendu qu’un soupir rvla…
Mais le second amant d’une femme, voil!
Ou a tout su. La faute est bien dlibre
Et c’est bien un nouvel tat que l’on se cre,
Un autre mariage soi-mme avou.
Plus de retour possible au foyer bafou.
Le mari, dbonnaire ou non, fait bonne garde
Et dissimule mal. Dj rit et bavarde
Le monde hostile et qui svirait au besoin.
Ah! que l’aise de l’autre intrigue se fait loin,
Mais aussi cette fois comme on vit, comme on aime.
Tout le coeur est clos en une fleur suprme.
Ah! c’est bon! Et l’on jette ce feu tout remords,
On ne vit que pour lui, tous autres soins sont morts.
On est lui, on n’est qu’ lui, c’est pour la vie,
Ce sera pour aprs la vie, et l’on dfie
Les lois humaines et divines, car on est
Folle de corps et d’me, et l’on ne reconnat
Plus rien, et l’on ne sait plus rien, sinon qu’on l’aime!
Or cet amant tait justement le deuxime
De la marquise, ce qui fait qu’un jour aprs,
—O sans malice et presque avec quelques regrets,—
Elle le revoyait pour le revoir encore.
Quant au miracle, comme une odeur s’vapore
Elle n’y pensa plus bientt que vaguement.
Un matin, elle tait dans son jardin charmant,
Un matin de printemps, un jardin de plaisance.
Les fleurs vraiment semblaient saluer sa prsence,
Et frmissaient au vent lger, et s’inclinaient
Et les feuillages, verts tendrement, lui donnaient
L’aubade d’un timide et dlicat ramage
Et les petits oiseaux volant son passage,
Ppiaient plaisir dans l’air tout embaum
Des feuilles, des bourgeons et des gommes de mai.
Elle pensait lui, sa vue errait, distraite,
A travers l’ombre jeune et la pompe discrte
D’un grand rosier berc d’un mouvement clin,
Quand elle vit Jsus en vtement de lin
Qui marchait, cartant les branches de l’arbuste
Et la couvait d’un long regard triste. Et le Juste
Pleurait. Et en tout un instant s’vanouit.
Elle se recueillait
Soudain un petit bruit
Se fit. On lui portait en secret une lettre,
Une lettre de lui, qui lui marquait peut-tre
Un rendez-vous.
Elle ne put la dchirer.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Marquis, pauvre marquis, qu’avez-vous pleurer
Au chevet de ce lit de blanche mousseline?
Elle est malade, bien malade.
‘Soeur Aline,
A-t-elle un peu dormi?’
—‘Mal, Monsieur le marquis.’
Et le marquis pleurait.
‘Elle est ainsi depuis
Deux heures, somnolente et calme. Mais que dire
De la nuit? Ah! Monsieur le marquis, quel dlire?
Elle vous appelait, vous demandait pardon
Sans cesse, encor, toujours, et tirait le cordon
De sa sonnette.’
Et le marquis frappait sa tte
De ses deux poings et, fou dans sa douleur muette,
Marchait grands pas sourds sur les tapis pais.
(Ds qu’elle fut malade, elle n’eut pas de paix
Qu’elle n’et avou ses fautes au pauvre homme
Qui pardonna.) La soeur reprit ple: ‘Elle eut comme
Un rve, un rve affreux, Elle voyait Jsus,
Terrible sur la nue et qui marchait dessus,
Un glaive dans la main droite et du la main gauche
Qui ramait lentement comme une faux qui fauche,
cartant sa prire, et passait furieux.’
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Un prtre saluant les assistants des yeux,
Entre.
Elle dort.
O ses paupires violettes!
O ses petites mains qui tremblent maigrelettes!
O tout son corps perdu dans des draps touffants!
Regardez, elle meurt de la mort des enfants.
Et le prtre anxieux se penche son oreille.
Elle s’agite un peu, la voil qui s’veille,
Elle voudrait parler, la voil qui s’endort
Plus ple.
Et le marquis: ‘Est-ce dj la mort?’
Et le docteur lui prend les deux mains et sort vite,
On l’enterrait hier matin. Pauvre petite!
DON JUAN PIP
A Franois Coppe.
Don Juan qui fut grand Seigneur en ce monde
Est aux enfers ainsi qu’un pauvre immonde
Pauvre, sans la barbe faite, et pouilleux,
Et si ce n’taient la lueur de ses yeux
Et la beaut de sa maigre figure,
En le voyant ainsi quiconque jure
Qu’il est un gueux et non ce hros fier
Aux dames comme aux potes si cher
Et dont l’auteur de ces humbles chroniques
Vous va parler sur des faits authentiques.
Il a son front dans ses mains et parat
Penser beaucoup quelque grand secret.
Il marche pas douloureux sur la neige,
Car c’est son chtiment que rien n’allge
D’habiter seul et vtu de lger
Loin de tout lieu o fleurit l’oranger
Et de mener ses tristes promenades
Sous un ciel veuf de toutes srnades
Et qu’une lune morte claire assez
Pour expier tous ses soleils passes.
Il songe. Dieu peut gagner, car le Diable
S’est vu rduire l’tat pitoyable
De tourmenteur et de gelier gag
Pour tre las trop tt, et trop g.
Du Rvolt de jadis il ne reste
Plus qu’un bourreau qu’on paie et qu’on moleste
Si bien qu’enfin la cause de l’Enfer
S’en va tombant comme un fleuve la mer,
Au sein de l’alliance primitive.
Il ne faut pas que cette honte arrive.
Mais lui, don Juan, n’est pas mort et se sent
Le coeur vif comme un coeur d’adolescent
Et dans sa tte une jeune pense
Couve et nourrit une force amasse,
S’il est damn, c’est qu’il le voulut bien,
Il avait tout pour tre un bon chrtien,
La foi, l’ardeur au ciel, et le baptme,
Et ce dsir de volupt lui-mme,
Mais s’tant dcouvert meilleur que Dieu,
Il rsolut de se mettre en son lieu.
A cet effet, pour asservir les mes
Il rendit siens d’abord les coeurs des femmes.
Toutes pour lui laissrent l Jsus,
Et son orgueil jaloux monta dessus
Comme un vainqueur foule un champ de bataille.
Seule la mort pouvait tre sa taille
Il l’insulta, la dfit. C’est alors
Qu’il vint Dieu sans peur et sans remords
Il vint Dieu, lui parla face face
Sans qu’un instant hsitt son audace.
Le dfiant, Lui, son Fils et ses saints?
L’affreux combat! Trs calme et les reins ceints
D’impit cynique et de blasphme,
Ayant vol son verbe Jsus mme,
Il voyagea, funeste plerin,
Prchant en chaire et chantant au lutrin,
Et le torrent amer de sa doctrine,
Parallle la parole divine,
Troublait la paix des simples et noyait
Toute croyance, et, grossi, s’enfuyait.
Il enseignait: ‘Juste, prends patience.
Ton heure est proche. Et mets ta confiance
En ton bon coeur. Sois vigilant pourtant,
Et ton salut en sera sr d’autant.
Femmes, aimez vos maris et les vtres
Sans cependant abandonner les autres…
L’amour est un dans tous et tous dans un,
Afin qu’alors que tombe le soir brun
L’ange des nuits n’abrite sous ses ailes
Que coeurs mi-clos dans la paix fraternelle.’
Au mendiant errant dans la fort
Il ne donnait un sol que s’il jurait.
Il ajoutait: ‘De ce que l’on invoque
Le nom de Dieu celui-ci ne s’en choque,
Bien au contraire, et tout est pour le mieux.
Tiens, prends, et bois ma sant, bon vieux.’
Puis il disait: ‘Celui-l prvarique
Qui de sa chair faisant une bourrique
La subordonne au soin de son salut
Et lui dsigne un trop servile but.
La chair est sainte! Il faut qu’on la vnre.
C’est notre fille, enfants, et notre mre,
Et c’est la fleur du jardin d’ici-bas!
Malheur ceux qui ne l’adorent pas!
Car, non contents de renier leur tre,
Ils s’en vont reniant le divin matre,
Jsus fait chair qui mourut sur la croix,
Jsus fait chair qui de sa douce voix
Ouvrait le coeur de la Samaritaine,
Jsus fait chair qu’aima Madeleine!’
A ce blasphme effroyable, voil
Que le ciel de tnbres se voila.
Et que la mer entre-choqua les les.
On vit errer des formes dans les villes,
Les mains des morts sortirent des cercueils,
Ce ne fut plus que terreurs et que deuils.
Et Dieu voulant venger l’injure affreuse
Prit sa foudre en sa droite furieuse
Et maudissant don Juan, lui jeta bas
Son corps mortel, mais son me, non pas!
Non pas son me, on l’allait voir! Et ple
De mle joie et d’audace infernale,
Le grand damn, royal sous ses haillons,
Promne autour son oeil plein de rayons,
Et crie: ‘A moi l’Enfer! vous qui ftes
Par moi guids en vos sublimes chutes,
Disciples de don Juan, reconnaissez
Ici la voix qui vous a redresss.
Satan est mort, Dieu mourra dans la fte,
Aux armes pour la suprme conqute!
‘Apprtez-vous, vieillards et nouveau-ns,
C’est le grand jour pour le tour des damns.’
Il dit. L’cho frmit et va rpandre
L’appel altier, et don Juan croit entendre
Un grand frmissement de tous cts.
Ses ordres sont coup sr couts:
Le bruit s’accrot des clameurs de victoire,
Disant son nom et racontant sa gloire.
‘A nous deux, Dieu stupide, maintenant!’
Et don Juan a foul d’un pied tonnant
Le sol qui tremble et la neige glace
Qui semble fondre au feu de sa pense…
Mais le voil qui devient glace aussi
Et dans son coeur horriblement transi
Le sang s’arrte, et son geste se fige.
Il est statue, il est glace. O prodige
Vengeur du Commandeur assassin!
Tout bruit s’teint et l’Enfer rfrn
Rentre jamais dans ses mornes cellules.
‘O les rodomontades ridicules’,
Dit du dehors Quelqu’un qui ricanait,
‘Contes prvus! farces que l’on connat!
Morgue espagnole et fougue italienne!
Don Juan, faut-il afin qu’il t’en souvienne,
Que ce vieux Diable, encor que radoteur,
Ainsi te prenne en dlit de candeur?
Il est crit de ne tenter… personne.
L’Enfer ni ne se prend ni ne se donne.
Mais avant tout, ami, retiens ce point:
On est le Diable, on ne le devient point.’
AMOUREUSE DU DIABLE
A Stphane Mallarm.
Il parle italien avec un accent russe.
Il dit: ‘Chre, il serait prcieux que je fusse
Riche, et seul, tout demain et tout aprs-demain.
Mais riche paver d’or monnay le chemin
De L’Enfer, et si seul qu’il vous va falloir prendre
Sur vous de m’oublier jusqu’ ne plus entendre
Parler de moi sans vous dire de bonne foi:
Qu’est-ce que ce monsieur Flice? Il vend de quoi?’
Cela s’adresse la plus blanche des comtesses.
Hlas! toute grandeur, toutes dlicatesses,
Coeur d’or, comme l’on dit, me de diamant,
Riche, belle, un mari magnifique et charmant
Qui lui ralisait toute chose rve,
Adore, adorable, une Heureuse, la Fe,
La Reine, aussi la Sainte, elle tait tout cela,
Elle avait tout cela.
Cet homme vint, vola
Son coeur, son me, en fit sa matresse et sa chose
Et ce que la voil dans ce doux peignoir rose
Avec ses cheveux d’or pars comme du feu,
Assise, et ses grands yeux d’azur tristes un peu.
Ce fut une banale et terrible aventure
Elle quitta de nuit l’htel. Une voiture
Attendait. Lui dedans. Ils restrent six mois
Sans que personne st o ni comment. Parfois
On les disait partis toujours. Le scandale
Fut affreux. Cette allure tait par trop brutale
Aussi pour que le monde ainsi mis au dfi
N’et pas frmi d’une ire norme et poursuivi
De ses langues les plus agiles l’insense.
Elle, que lui faisait? Toute cette pense,
Lui, rien que lui, longtemps avant qu’elle s’enfuit,
Ayant ralis son avoir (sept ou huit
Millions en billets de mille qu’on liasse
Ne psent pas beaucoup et tiennent peu de place).
Elle avait tass tout dans un coffret mignon
Et le jour du dpart, lorsque son compagnon
Dont du rhum bu de trop rendait la voix plus tendre
L’interrogea sur ce colis qu’il voyait pendre
A son bras qui se lasse, elle rpondit: ‘a,
C’est notre bourse.’
O tout ce qui se dpensa!
Il n’avait rien que sa beaut problmatique
(D’autant pire) et que cet esprit dont il se pique
Et dont nous parlerons, comme de sa beaut,
Quand il faudra… Mais quel bourreau d’argent! Prt,
Gagn, vol! Car il volait sa manire,
Excessive, partant respectable en dernire
Analyse, et d’ailleurs respecte, et c’tait
Prodigieux la vie norme qu’il menait
Quand au bout de six mois ils revinrent.
Le coffre
Aux millions (dont plus que quatre) est l qui s’offre
A sa main. Et pourtant cette fois—une fois
N’est pas coutume—il a gargaris sa voix
Et remplac son geste ordinaire de prendre
Sans demander, par ce que nous venons d’entendre.
Elle s’tonne avec douceur et dit: ‘Prends tout
Si tu veux.’
Il prend tout et sort.
Un mauvais got
Qui n’avait de pareil que sa dsinvolture
Semblait ptrir le fond mme de sa nature,
Et dans ses moindres mots, dans ses moindres clins d’yeux,
Faisait luire et vibrer comme un charme odieux.
Ses cheveux noirs taient trop boucls pour un homme
Ses yeux trs grands, trs verts, luisaient comme Sodome.
Dans sa voix claire et lente, un serpent s’avanait,
Et sa tenue tait de celles que l’on sait:
Du vernis, du velours, trop de linge, et des bagues.
D’antcdents, il en avait de vraiment vagues
Ou, pour mieux dire, pas. Il parut un beau soir,
L’autre hiver, Paris, sans qu’aucun pt savoir
D’o venait ce petit monsieur, fort bien du reste
Dans son genre et dans son outrecuidance leste.
Il fit rage, eut des duels clbres et causa
Des morts de femmes par amour dont on causa.
Comment il vint bout de la chre comtesse,
Par quel philtre ce gnome insuffisant qui laisse
Une odeur de cheval et de femme aprs lui
A-t-il fait d’elle cette fille d’aujourd’hui?
Ah! a, c’est le secret perptuel que berce
Le sang des dames dans son plus joli commerce,
A moins que ce ne soit celui du DIABLE aussi.
Toujours est-il que quand le tour eut russi
Ce fut du propre!
Absent souvent trois jours sur quatre,
Il rentrait ivre, assez lche et vil pour la battre,
Et quand il voulait bien rester prs d’elle un peu,
Il la martyrisait, en matire de jeu,
Par talage de doctrines impossibles.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
‘Mia, je ne suis pas d’entre les irascibles,
Je suis le doux par excellence, mais tenez
a m’exaspre, et je le dis votre nez,
Quand je vous vois l’oeil blanc et la lvre pince
Avec je ne sais quoi d’troit dans la pense
Parce que je reviens un peu sol quelquefois.
Vraiment, en seriez-vous croire que je bois
Pour boire, pour licher, comme vous autres chattes,
Avec vos vins sucrs dans vos verres pattes
Et que l’Ivrogne est une forme du Gourmand?
Alors l’instinct qui vous dit a ment plaisamment
Et d’y prter l’oreille un instant, quel dommage!
Dites, dans un bon Dieu de bois est-ce l’image
Que vous voyez et vers qui vos voeux vont monter?
L’Eucharistie est-elle un pain cacheter
Pur et simple, et l’amant d’une femme, si j’ose
Parler ainsi, consiste-t-il en cette chose
Unique d’un monsieur qui n’est pas son mari
Et se voit de ce chef tout spcial chri!
Ah! si je bois, c’est pour me soler, non pour boire.
tre sol, vous ne savez pas quelle victoire
C’est qu’on remporte sur la vie, et quel don c’est!
On oublie, on revoit, on ignore et l’on sait,
C’est des mystres pleins d’aperus, c’est du rve
Qui n’a jamais eu de naissance et ne s’achve
Pas, et ne se meut pas dans l’essence d’ici,
C’est une espce d’autre vie en raccourci,
Un espoir actuel, un regret qui ‘rapplique’,
Que sais-je encore? Et quand la rumeur publique.
Au prjug qui hue un homme dans ce cas,
C’est hideux, parce que bte, et je ne plains pas
Ceux ou celles qu’il bat travers son extase,
O que nenni!
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Voyons, l’amour, c’est une phrase
Sous un mot,—avouez, un coute-s’il-pleut,
Un calembour dont un chacun prend ce qu’il veut,
Un peu de plaisir fin, beaucoup de grosse joie
Selon le plus ou moins de moyens qu’il emploie,
Ou, pour mieux dire, au gr de son temprament,
Mais, entre nous, le temps qu’on y perd! Et comment!
Vrai, c’est honteux que des personnes srieuses
Comme nous deux, avec ces vertus prcieuses
Que nous avons, du coeur, de l’esprit,—de l’argent,
Dans un sicle que l’on peut dire intelligent
Aillent!…’
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Ainsi de suite, et sa fade ironie
N’pargnait rien de rien dans sa blague infinie.
Elle coutait le tout avec les yeux baisss
Des coeurs aimants qui tous torts sont effacs,
Hlas!
L’aprs-demain et le lendemain se passent.
Il rentre et dit: ‘Altro! Que voulez-vous que fassent
Quatre pauvres petits millions contre un sort?
Ruins, ruins, je vous dis! C’est la mort
Dans l’me que je vous le dis.’
Elle frissonne
Un peu, mais sait que c’est arriv.
—‘a, personne,
Mme vous, diletta, ne me croit assez sot
Pour demeurer ici dedans le temps d’un saut
De puce.’
Elle plit trs fort et frmit presque,
Et dit: ‘Va, je sais tout.’—‘Alors c’est trop grotesque
Et vous jouer l sans atouts avec le feu.’
—‘Qui dit non?’—‘Mais JE SUIS SPCIAL ce jeu.’
—‘Mais si je veux, exclame-t-elle, tre damne?’
—‘C’est diffrent, arrange ainsi ta destine,
Moi je sors.’—‘Avec moi!’—‘Je ne puis aujourd’hui.’
Il a disparu sans autre trace de lui
Qu’une odeur de soufre et qu’un aigre clat de rire.
Elle tire un petit couteau.
Le temps de luire
Et la lame est entre deux lignes du coeur.
Le temps de dire, en renfonant l’acier vainqueur,
‘A toi, je t’aime!’ et la JUSTICE la recense.
Elle ne savait pas que l’Enfer c’est l’absence.
TABLE
POMES SATURNIENS
PROLOGUE
MELANCHOLIA
I. Rsignation.
II. Nevermore.
III. Aprs trois ans.
IV. Voeu.
V. Lassitude.
VI. Mon rve familier.
VII. A une femme.
VIII. L’angoisse.
EAUX-FORTES
I. Croquis parisien.
II. Cauchemar.
III. Marine.
IV. Effet de nuit.
V. Grotesques.
PAYSAGES TRISTES
I. Soleils couchants.
II. Crpuscule du soir mystique.
III. Promenade sentimentale.
IV. Nuit de Walpurgis classique.
V. Chanson d’automne.
VI. L’heure du berger.
VII. Le rossignol.
CAPRICES
I. Femme et chatte.
II. Jsuitisme.
III. La chanson des ingnues.
IV. Une grande dame.
V. Monsieur Prudhomme.
INITIUM
AVITRI
SUB URBE
SRNADE
UN DAHLIA
NEVERMORE
IL BACIO
DANS LES BOIS
NOCTURNE PARISIEN
MARCO
CSAR BORGIA
LA MORT DE PHILIPPE II
EPILOGUE
FTES GALANTES
CLAIR DE LUNE
PANTOMIME
SUR L’HERBE
L’ALLE
A LA PROMENADE
DANS LA GROTTE
LES INGNUS
CORTGE
LES COQUILLAGES
EN PATINANT
FANTOCHES
CYTHRES
EN BATEAU
LE FAUNE
MANDOLINE
A CLYMNE
LETTRE
LES INDOLENTS
COLOMBINE
L’AMOUR PAR TERRE
EN SOURDINE
COLLOQUE SENTIMENTAL
LA BONNE CHANSON
I Le soleil du matin doucement chauffe et dore.
II Toute grce et toutes nuances.
III En robe grise et verte avec des ruches.
IV Puisque l’aube grandit, puisque voici l’aurore.
V Avant que tu ne t’en ailles.
VI La lune blanche.
VII Le paysage dans le cadre des portires.
VIII Une sainte en son aurole.
IX Son bras droit, dans un geste aimable de douceur.
X Quinze longs jours encore et plus de six semaines.
XI La dure preuve va finir.
XII Va, chanson, tire-d’aile.
XIII Hier, on parlait de choses et d’autres.
XIV Le foyer, la lueur troite de la lampe.
XV J’ai presque peur en vrit.
XVI Le bruit des cabarets, la fange des trottoirs.
XVII N’est-ce pas? en dpit des sots et des mchants.
XVIII Nous sommes en des temps infmes.
XIX Donc, ce sera pour un clair jour d’t.
XX J’allais par des chemins perfides.
XXI L’hiver a cess: la lumire est tide.
ROMANCES SANS PAROLES
I C’est l’extase langoureuse.
II Je devine, travers un murmure.
III Il pleure dans mon coeur.
IV Il faut, voyez-vous, nous pardonner les choses.
V Le piano que baise une main frle.
VI C’est le chien de Jean Nivelle.
VII O triste, triste tait mon me.
VIII Dans l’interminable.
IX L’ombre des arbres dans la rivire embrume.
PAYSAGES BELGES
Walcourt.
Charleroi.
Bruxelles (Simples fresques).
(Chevaux de bois).
Malines.
BIRDS IN THE NIGHT
AQUARELLES
Green.
Spleen.
Streets.
Child Wife.
A poor young shepherd.
Beams.
SAGESSE
I. Bon chevalier masqu qui chevauche en silence.
II. J’avais pein comme Sisyphe.
III. Qu’en dis-tu, voyageur, des pays et des gares?
IV. Malheureux! Tous les dons, la gloire du baptme.
V. Beaut des femmes, leur faiblesse, et ces mains ples.
VI. O vous, comme un qui boite au loin. Chagrins et Joies.
VII. Les faux beaux jours ont lui tout le jour, ma pauvre me.
VIII. La vie humble aux travaux ennuyeux et faciles.
IX. Sagesse d’un Louis Racine, je t’envie.
X. Non. Il fut gallican, ce sicle, et jansniste.
XI. Petits amis, qui stes nous prouver.
XII. Or, vous voici promus, petits amis.
XIII. Prince mort en soldat, cause de la France.
XIV. Vous reviendrez bientt, les bras pleins de pardons.
XV. On n’offense que Dieu qui seul pardonne.
XVI. coutez la chanson bien douce.
XVII. Les chres mains qui furent miennes.
XVIII. Et j’ai revu l’enfant unique: il m’a sembl.
XIX. Voix de l’Orgueil, un cri puissant comme d’un cor.
XX. L’ennemi se dguise en l’Ennui.
XXI. Va ton chemin sans plus t’inquiter!
XXII. Pourquoi triste, mon me.
XXIII. N l’enfant des grandes villes.
XXIV. L’me antique tait rude et vaine.
I. O mon Dieu, vous m’avez bless d’amour.
II. Je ne veux plus aimer que ma mre Marie.
III. Vous tes calme, vous voulez un voeu discret.
IV. Mon Dieu m’a dit: Mon fils, il faut m’aimer.
I. Dsormais le Sage, puni.
II. Du fond du grabat.
III. L’espoir luit comme un brin de paille dans l’table.
IV. Je suis venu, calme orphelin.
V. Un grand sommeil noir.
VI. Le ciel est par-dessus le toit.
VII. Je ne sais pourquoi.
VIII. Parfums, couleurs, systmes, lois!
IX. Le son du cor s’afflige vers les bois.
X. La tristesse, langueur du corps humain.
XI. La bise se rue travers.
XII. Vous voil, vous voil, pauvres bonnes penses!
XIII. L’chelonnement des haies.
XIV. L’immensit de l’humanit.
XV. La mer est plus belle.
XVI. La ‘grande ville’. Un tas criard de pierres blanches.
XVII. Toutes les amours de la terre.
XVIII. Sainte Thrse veut que la Pauvret soit.
XIX. Parisien, mon frre jamais tonn.
XX. C’est la fte du bl, c’est la fte du pain.
JADIS ET NAGURE
JADIS
Prologue.
SONNETS ET AUTRES
Pierrot.
Kalidoscope.
Intrieur.
Dizain mil huit cent trente.
A Horatio.
Sonnet boiteux.
Le clown.
Des yeux tout autour de la tte.
Le squelette.
Et nous voil trs doux la btise humaine.
Art potique.
Le pitre.
Allgorie.
L’Auberge.
Circonspection.
Vers pour tre calomni.
Luxures.
Vendanges.
Images d’un sou.
LES UNS ET LES AUTRES
VERS JEUNES
Le soldat laboureur.
Les loups.
La pucelle.
L’anglus du matin.
La soupe du soir.
Les vaincus.
A LA MANIRE DE PLUSIEURS
I. La princesse Brnice.
II. Langueur.
III. Pantoum nglig.
IV. Paysage.
V. Conseil Falot.
VI. Le pote et la muse.
VII. L’aube l’envers.
VIII. Un pouacre.
IX. Madrigal.
NAGURE
Prologue.
Crimen amoris.
La grce.
L’impnitence finale.
Don Juan Pip.
Amoureuse du Diable.
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Vol. 1, by Paul Verlaine
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